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Nº 3024 du vendredi 23 octobre 2015

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Entre le Courant du futur et le Hezbollah. Un vieux contentieux local et régional

S’il faut en croire les développements de la semaine précédente, on pourrait dire que rien ne va plus entre le Courant du futur et le Hezbollah. Il y a eu, d’abord, le discours incendiaire du ministre de l’Intérieur, Nouhad Machnouk, puis la réponse du secrétaire général du Hezbollah, sayyed Hassan Nasrallah. Les médiateurs ont bien tenté de rapprocher les points de vue, mais l’escalade verbale reflète aussi la réalité conflictuelle régionale, ainsi qu’un long contentieux.
 

Que Nouhad Machnouk, considéré le responsable du Courant du futur le plus proche du Hezbollah, menace ce dernier de se retirer du dialogue et du gouvernement ne peut pas être vu comme un développement banal. En effet, si ces propos avaient été tenus par le ministre de la Justice, Achraf Rifi, ou par le député Ahmad Fatfat, ils n’auraient pas eu le même effet sur la scène politique. Mais qu’ils soient prononcés par Nouhad Machnouk a suscité de nombreuses questions. Le ministre de l’Intérieur et des Municipalités, qui est l’un des représentants du Courant du futur dans les réunions de dialogue avec le Hezbollah, s’est toujours démarqué des «faucons» de sa formation, en insistant sur l’ouverture en direction du parti de Dieu. D’ailleurs, au prochain mois de décembre, ce dialogue initié sous la houlette du président de la Chambre, Nabih Berry, fêtera sa première année et les milieux politiques ne cessent d’affirmer qu’il a eu un effet déterminant dans le maintien de la stabilité interne. Y a-t-il donc une décision régionale de remettre en cause le fameux «filet de sécurité», qui protège le Liban? C’est la question qui s’est posée après le discours de Machnouk et la riposte du secrétaire général du Hezbollah, sayyed Hassan Nasrallah.
 

Une riposte au Liban?
Les milieux politiques sont revenus sur les derniers développements sur la scène régionale, depuis l’intervention militaire russe en Syrie, jusqu’aux combats au Yémen, pour estimer que l’Arabie saoudite aurait décidé de riposter au Liban. De fait, l’Arabie, par la voie de son ministre des Affaires étrangères, Adel el-Jubair, n’a cessé d’exprimer son mécontentement au sujet de l’intervention militaire russe en Syrie, en affirmant qu’elle vise essentiellement à maintenir le président syrien Bachar el-Assad au pouvoir. Ce n’est donc pas un hasard si les ulémas sunnites libanais ont organisé récemment un sit-in devant l’ambassade de Russie à Beyrouth pour protester contre cette intervention, alors que le mufti de la République, Abdel-Latif Derian, lui-même élu avec la bénédiction de Riyad, a mis le président russe, Vladimir Poutine, en garde contre le déclenchement d’une guerre entre les sunnites et les orthodoxes dans la région. Or, c’est juste après ces développements que le ministre de l’Intérieur a menacé le Hezbollah de se retirer du dialogue et du gouvernement en guise de protestation contre son attitude et son blocage supposé des institutions. La réponse du secrétaire général du Hezbollah ne s’est pas fait attendre, lorsqu’il a dit, dans son dernier discours, «que celui qui souhaite se retirer du dialogue ou du gouvernement le fasse!». Nasrallah a dit que son parti ne cèdera pas à ce chantage et, en fin de compte, le perdant dans la chute de l’actuel gouvernement, c’est essentiellement le Courant du futur.

 

Lutte interne
Dans les milieux proches du Hezbollah, on explique que les propos de Machnouk doivent être placés dans le contexte de la lutte interne qui sévit au sein du Courant du futur. En effet, avec l’absence prolongée de son chef Saad Hariri, ce courant est désormais divisé en plusieurs tendances, qui l’empêchent de prendre des décisions et, surtout, le poussent à ne pas tenir les engagements pris. Selon les sources proches du Hezbollah, un engagement écrit avait été conclu avec Nader Hariri, le chef du bureau de Saad Hariri, au sujet du dossier dit des promotions militaires. Mais, finalement, cet engagement n’a pas été respecté et le ministre de la Justice, Achraf Rifi, s’est vanté de l’avoir fait échouer, en assurant qu’il a voulu faire vivre à Michel Aoun et à ses alliés la même amertume qu’il a éprouvée lorsqu’ils ont refusé de le maintenir en fonction après son passage à la retraite. Ensuite, ce fut au tour de l’ancien président, Michel Sleiman, d’affirmer qu’il a bloqué l’accord sur les promotions militaires, parce qu’il est contraire au principe de la hiérarchie au sein de l’institution militaire. Conclusion: le Courant du futur et son chef sont-ils devenus si faibles qu’ils ne peuvent plus assurer le respect de leurs propres engagements, ou bien s’agit-il d’une distribution des rôles? Dans les deux cas, cela affaiblit la position du Courant du futur en tant que partenaire dans le dialogue aussi bien national que bilatéral.
La même question s’est aussi posée dans le cadre du traitement du dossier des déchets. Le Courant du futur s’est engagé à imposer le choix du terrain de Srar dans le Akkar comme dépotoir national. Mais un chef de municipalité de cette région a réussi à remettre en cause la décision officielle prise en Conseil des ministres et au sein de la commission ministérielle chargée de traiter ce dossier. Dans ce cas, quelle crédibilité peut donc avoir le Courant du futur?

 

Stabilité… fragile
Les milieux du Hezbollah affirment encore que le Courant du futur connaît actuellement une grave crise structurelle, qui est à l’origine du blocage actuel. Depuis l’assassinat de Rafic Hariri, ce courant a bénéficié d’un grand élan de sympathie dans l’ensemble du pays. Cet élan s’est petit à petit réduit pour devenir surtout sunnite. Le facteur financier et celui des services à cause de la position au sein du pouvoir ont contribué à la grande popularité de ce courant auprès de la rue sunnite. Mais dix ans plus tard, en raison d’une certaine confusion dans l’attitude, notamment à l’égard du régime syrien, puis concernant le Hezbollah, sans parler du malaise provoqué par la chute du gouvernement de Saad Hariri, ensuite par l’absence de ce dernier, ainsi que par ses problèmes financiers, cette popularité s’est érodée au profit des courants plus extrémistes. Le discours radical, adopté un moment par les figures de proue du Courant du futur, est devenu ainsi en contradiction avec l’image de l’islam modéré qu’il veut se donner. Pour toutes ces raisons, l’escalade verbale actuelle contre le Hezbollah ne serait donc qu’un des aspects de cette confusion et des tiraillements au sein de ce courant.
A cette réalité propre au Courant du futur, il faut aussi ajouter les difficultés régionales rencontrées aujourd’hui par son parrain l’Arabie saoudite qui essuie des revers politiques en Syrie, mais aussi en Irak et peut-être même au Yémen, sans parler de l’accord sur le nucléaire iranien qui vient d’entrer en application, en dépit des pronostics contraires des dirigeants saoudiens.
De leur côté, les sources proches du Courant du futur précisent qu’en dépit de la tension verbale qui monte avec le Hezbollah, il n’est pas vraiment question de renoncer au dialogue parce qu’il reste, malgré tout, dans l’intérêt du Liban. Il s’agit donc de maintenir un fil même ténu de contact avec le parti de Dieu dans l’attente de la fin de l’élan créé par l’intervention militaire russe en Syrie qui, selon ces mêmes sources, va se terminer dans un enlisement selon le scénario afghan.
D’ici-là, il faut maintenir la stabilité, même fragilisée au Liban et, après, il sera temps de revoir l’équation locale, à la lumière des développements régionaux… 

Joëlle Seif

L’intervention de l’ambassadeur
Selon des sources proches du Courant du futur, l’ambassadeur d’Arabie saoudite, Ali Awad Assiri, serait intervenu auprès des responsables de ce courant pour les pousser à ne pas rompre le dialogue avec le Hezbollah. Les mêmes sources affirment que contrairement à ce qui se dit dans certains milieux politiques, l’Arabie reste attachée à la stabilité du Liban et c’est pour cette raison que l’ambassadeur serait intervenu pour demander la fin des campagnes verbales entre le Futur et le Hezbollah. Si une partie souhaite déstabiliser le Liban, c’est ailleurs qu’il faudrait la chercher, précisent les mêmes sources…

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