A peine rentré d’Arabie saoudite, où il avait rencontré le roi Salmane Ben Abdel-Aziz, Walid Joumblatt est pris de court par «la flèche» tirée contre lui par le député Marwan Hamadé, sans le nommer. S’agit-il d’un simple nuage d’été ou d’un profond désaccord entre les deux hommes?
Dans son allocution à l’occasion du troisième anniversaire de la disparition de Wissam el-Hassan, Marwan Hamadé avait accusé Walid Joumblatt, sans le nommer, de «capitulation et d’abandon à mi-chemin». Cette déclaration a provoqué la colère du seigneur de Moukhtara, qui s’est empressé de riposter (à travers son compte Twitter) en ne nommant personne non plus. «Les concessions n’ont rien de honteux en politique. Ces propos ne sont que des surenchères non contrôlées. Que Dieu éclaire leur auteur».
Le ministre de la Santé, Waël Abou Faour, a fait écho à Joumblatt. «Nous n’abandonnons personne à mi-chemin, dit-il, car nous n’avons jamais suivi personne sans conviction. Les surenchères de ceux qui ne comprennent pas les risques que des divisions mortelles guettent le pays ne nous intéressent pas». Marwan Hamadé est revenu à la charge pour éclaircir sa position dans un communiqué. «Il semble qu’une phrase de mon allocution a été mal interprétée. Je ne visais personne et je ne parlais ni d’abandon ni de capitulation. Je décrivais l’isolement du Liban, sur le plan arabe et international, qui requiert le retour du président Saad Hariri», écrit-il.
Des contacts rapides ont été établis pour dissiper ce malentendu. Ce nuage d’été, disent des personnes averties, est en voie de disparaître rappelant que, même après la chute du gouvernement Hariri (dans les concertations parlementaires), Hamadé avait refusé de désigner Najib Mikati, à l’inverse des députés de la Rencontre démocratique, et avait nommé Hariri, contre le gré de Joumblatt (entraînant dans son sillage trois députés chrétiens de la Rencontre, Henri Hélou, Fouad el-Saad et Antoine el-Saad). Hamadé n’a jamais attaqué Joumblatt tenant à préserver la relation historique qui les lie de longue date. C’est pourquoi la riposte de ce dernier était plutôt faible et n’était qu’un reproche.
Un vieux compagnon
Les proches des deux hommes rappellent que Hamadé a collaboré avec Joumblatt dès l’entrée de ce dernier sur la scène politique et ne l’a jamais quitté. Après l’assassinat de Kamal Joumblatt, en mars 1977, et la remise à Walid de la abaya, symbole du leadership druze, Hamadé a joué un rôle prépondérant en politique à ses côtés. Il l’a accompagné dans toutes les occasions et a été l’artisan du premier contact entre le leader druze et Rafic Hariri.
Walid Joumblatt, disent ses proches, ne tenait pas seulement à l’alliance politique avec Marwan Hamadé, mais bien plus à son amitié. Parmi les souvenirs marquants, celui de Hamadé baisant la main de May Arslan Joumblatt, la mère de Walid, au moment de son enterrement, comme l’a fait Joumblatt lui-même.
Selon une personnalité druze, Joumblatt a toujours pensé que quelqu’un lui tendait un piège. Comme d’autres chefs de communautés, il ne peut supporter d’autres choix que les siens. Cette même personnalité se demande si Joumblatt pourrait supporter Marwan Hamadé. Aux élections parlementaires, ce dernier avait obtenu plus de voix que lui. Des rumeurs disent que les proches de Hamadé répètent que «le bey est comme l’Amérique, tu ne sais pas quand elle te laisse tomber sans que tu saches pourquoi et, quand tu tombes, elle t’abandonne comme un cadavre écrasé sous les coups de l’adversaire».
Hamadé, estiment-ils, est un brillant intellectuel et un écrivain francophone qui a des relations internationales et arabes spéciales et solides. Mais il sait qu’il ne peut en aucun cas s’éloigner du seigneur de Moukhtara, c’est pourquoi il s’est empressé d’expliquer, dans un communiqué ressemblant à un acte de contrition, une faute qu’il dit ne pas avoir commise.
Chaouki Achkouti
Le souvenir de Kamal Joumblatt
Des proches du député Walid Joumblatt rapportent que le ministre Waël Abou Faour prépare la coopération entre l’Arabie saoudite et le leader druze depuis quelque temps. Il est allé à deux reprises à Riyad avec Taymour Joumblatt pour paver la voie à Walid bey avec la nouvelle direction saoudienne. Ces mêmes sources ajoutent que ce qui a changé dans cette visite de Joumblatt en Arabie est un climat de détente avec le roi Salmane, en présence d’Abou Faour et de Taymour avec lesquels le roi a plaisanté et rappelé les souvenirs qu’il a gardés de son père Kamal, alors qu’il était l’émir de la région de Riyad, et de la visite de ce dernier deux semaines avant son assassinat, alors qu’il effectuait une tournée arabe comprenant l’Arabie et l’Egypte en 1976.