Le 14 mars serait semblable aujourd’hui à un orchestre, dans lequel chacun joue sa propre partition en l’absence du chef. Un ensemble de notes discordantes, sans aucune harmonie, réduisant le paysage à une grande cacophonie.
L’absence de Saad Hariri se fait sentir de plus en plus. Au Futur, les divergences se font nombreuses comme si à l’intérieur de cette formation d’autres courants se sont créés. Tout cela fait que, désormais, il n’existe plus de stabilité politique dans le rassemblement du 14 mars, qui souffre d’un manque de vision claire et d’une position unifiée. Il est difficile de le considérer comme un cadre rassembleur. La seule chose sur laquelle les membres semblent d’accord, c’est l’élection présidentielle, qui reste la priorité et le premier point à l’ordre du jour du dialogue national. Même les deux thèmes, qui constituaient le fer de lance du 14 mars, à savoir, les armes du Hezbollah et son intervention en Syrie, semblent aujourd’hui dépassés et sont relégués à un second plan.
Selon les observateurs, cette situation serait principalement liée à la crise que traverse le Courant du futur sur le plan politique et financier, ainsi que l’absence de Hariri.
Toutefois, il existe également d’autres raisons qui pourraient expliquer la situation à laquelle est parvenu le rassemblement du 14 mars. En effet, cette coalition a été créée autour d’une idée de base et d’une cause qui étaient celles de la liberté, de la souveraineté et de l’indépendance. Beaucoup de slogans avaient été brandis dans la foulée, dont celui du retour à l’Etat de droit. Mais il semble que ce rassemblement se soit arrêté là et n’a pas su s’adapter aux changements et aux évolutions qui ont eu lieu. Sa lecture des faits n’était pas non plus exacte. Depuis deux ans, la loi électorale a clairement démontré qu’il existait une véritable crise au Liban, qui dépasse le simple cadre d’une crise politique et serait une réelle lutte pour le pouvoir. A son tour, le mouvement de la société civile a prouvé que les priorités des citoyens n’étaient plus nationales et politiques et ce sont désormais les questions d’ordre social qui priment et suscitent son intérêt. Les slogans, tels que les armes du Hezbollah, n’attirent plus personne. Dorénavant, les Libanais, tous bords confondus, sont plus soucieux de la question des déchets et de la corruption.
L’intervention russe en Syrie a, elle aussi, à son tour montré les hésitations et l’absence de vision unifiée au sein du 14 mars. Cet événement majeur, qui a totalement bousculé la donne et mélangé les cartes, est sujet à plusieurs interprétations. Il y a, d’une part, ceux qui estiment qu’il est exagéré d’accorder trop d’importance à cette intervention et d’y fonder trop d’espoir. Pour eux, cette intervention change les règles du jeu et il n’est pas garanti qu’elle soit en faveur du régime. Elle pourrait représenter un autre Afghanistan et se transformer en un bourbier dans lequel les Russes risquent de s’enliser. C’est la raison pour laquelle il faudrait préserver l’équilibre actuel et ne pas offrir des concessions à l’autre partie, alors que la situation est très sensible en ce moment sur le plan régional.
Il y a, d’autre part, ceux qui considèrent que l’intervention russe ne pourrait servir qu’à prolonger la guerre en Syrie et compliquer encore plus la situation. Elle pourrait prolonger la vie du régime de Bachar el-Assad, surtout que désormais la priorité de l’Occident est la guerre contre l’Etat islamique. Tout pari sur un changement en Syrie ou une amélioration dans les relations entre l’Arabie et l’Iran est totalement déplacé. Pratiquement, ceci veut dire que l’attente pourrait se prolonger. En l’absence d’alternative, la seule solution qui se présente pour le moment serait celle de gagner du temps. Dans ce cas, il faudrait revoir le discours politique et l’ordre des priorités. La seule constante est le maintien du gouvernement actuel et la poursuite du dialogue national dans le cadre desquels peuvent se poursuivre les luttes et les divergences…
Joëlle Seif
Réunions suspendues
Le ministre de l’Intérieur, Nouhad Machnouk, n’a pas hésité à déclarer que son parti serait prêt à se retirer du gouvernement et de la table de dialogue. Une position qui ne fait pas non plus l’unanimité au sein du Courant du futur, où certains estiment qu’il ne faut pas mettre en péril le gouvernement de Tammam Salam à l’ombre de la vacance de la présidence. De son côté, le secrétaire général du 14 mars, Farès Souhaid, a décidé de suspendre les réunions jusqu’à nouvel ordre tant qu’il n’existe pas une vision claire et unifiée de la situation locale et régionale.