Conflit en Syrie, leadership régional, attaques au couteau, durcissement du conflit israélo-palestinien: Pascal Boniface, directeur de l’Iris (Institut de relations internationales et stratégiques) et enseignant à l’Institut d’études européennes de l’Université de Paris 8, livre son analyse à Magazine sur ces sujets brûlants.
Quel message tirez-vous de la visite de Bachar el-Assad à Vladimir Poutine à Moscou?
L’intérêt pour Bachar el-Assad est de montrer qu’il dispose d’un allié sûr et fidèle. Il montre aussi qu’il sort de son pays, en réponse à ceux qui le pensaient isolé et bloqué. Pour Poutine, c’est une manière de prouver que rien ne pourra se faire en Syrie sans lui. Et c’est lui qui a demandé à Assad de venir, il veut montrer que c’est lui qui contrôle la situation. Globalement, cela démontre une solidarité très forte entre le régime syrien et Moscou, bien au-delà de la personnalité seule de Bachar-el-Assad, avec qui je ne suis pas sûr que Poutine ait vraiment des affinités.
L’alliance de la Russie, de l’Iran et du Hezbollah aux côtés du régime syrien peut-elle réellement renverser l’équilibre sur le terrain et mener à des négociations?
Je ne crois pas que Moscou puisse continuer à dépenser de l’argent indéfiniment dans ces frappes et être un soutien à fonds perdu de Bachar el-Assad, la situation de la Russie ne le permet pas. Toutefois, s’ils ne seront pas en mesure de reconquérir les territoires perdus, ils vont essayer de sanctuariser ce que l’on appelle la Syrie utile, afin de protéger le régime et, surtout, leurs intérêts à long terme. Quant à de possibles négociations, pour l’heure nous sommes dans une impasse totale. Si négociations il y a, il ne pourra pas y avoir d’exclusive. Tous les acteurs de ce conflit devront participer, l’Iran, l’Arabie saoudite, la Russie, les Etats-Unis, les pays européens, la Turquie… il faudra une entente beaucoup plus large que ce qu’elle l’a été jusqu’à présent.
Avec quelle opposition?
Il pourrait y avoir par exemple des éléments du régime syrien actuel auxquels s’ajouteraient des membres de l’opposition, mais sans Bachar el-Assad et l’Etat islamique.
La Syrie est le théâtre de rivalités entre Moscou et Washington. Etalage de muscles ou nouvelle Guerre froide larvée?
La Russie aujourd’hui n’est pas à la tête d’une coalition mondiale, même si elle reste – ou plutôt est redevenue – une puissance mondiale. Les Etats-Unis ont, eux, une capacité d’action réduite, mais beaucoup plus de puissance. Pour moi, le retour à la Guerre froide est un concept dépassé. Il n’y a pas deux blocs idéologiquement antagonistes et de force comparable. Il y a des rivalités nationales traditionnelles.
Que pensez-vous de la politique étrangère de la France?
La France en Syrie propose, depuis longtemps, une solution avec des membres du régime et d’autres de l’opposition, à condition que Bachar el-Assad soit écarté. Pour la France, Bachar est le problème, pas la solution, c’est le sergent recruteur de l’Etat islamique, il ne peut pas donc faire partie de la solution. La France est dans la région le pays européen le plus actif ou, en tout cas, le moins inactif. Mais elle ne peut en rien imposer ses solutions, comme toutes les autres puissances d’ailleurs.
Les différentes crises, de la Syrie au Yémen, en passant par l’Irak laissent transparaître des luttes de leadership régional entre l’Iran, l’Arabie saoudite et la Turquie. Pour une répartition du gâteau moyen-oriental?
C’est plutôt un gâteau qui s’émiette. Il y a de nombreux feux qui couvent, pour autant les clivages ne sont pas tous les mêmes, je ne vois pas de troisième guerre mondiale à l’horizon, comme certains l’ont prétendu. On se dirige davantage vers un émiettement qu’un partage réel, il s’agit plus d’une sécession de fait.
Comment analysez-vous les attaques au couteau et les nouvelles violences entre Israéliens et Palestiniens? Est-ce une troisième intifada?
C’est une révolte profonde qui ne va pas cesser d’elle-même. D’autant que ces attaques au couteau sont prises au niveau individuel, il n’y a pas de mot d’ordre global. Pour moi, c’est surtout le signe d’un pourrissement de la situation avec Mahmoud Abbas qui a fait miroiter l’espoir de négociations, le Hamas qui a échoué, tout comme Benyamin Netanyahou d’ailleurs. On paie ici le prix de nombreuses années de fausses négociations. Abbas est faible, les négociations tournent dans le vide, on est passé depuis les accords d’Oslo de 200 000 colons à quelque 570 000 aujourd’hui. Et l’environnement international n’est pas propice à des négociations. La société israélienne est de plus en plus à droite. Le poids des colons se renforce, les mesures sécuritaires de Netanyahou sont, en fait, des mesures insécuritaires. Sans perspectives politiques et avec seulement une politique de répression, on ne combat pas le terrorisme, on le nourrit.
Propos recueillis par Jenny Saleh