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Nº 3026 du vendredi 6 novembre 2015

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POLITIQUE

Les limites de la protestation. 5 contradictions de la révolution des poubelles

Trois mois après les premières manifestations, que reste-t-il des espoirs nés de la révolution des poubelles? La première tempête de la saison et la catastrophe sanitaire qui a suivi ne semblent pas avoir redonné de l’ampleur aux mobilisations. Alors que le gouvernement n’a toujours pas trouvé de solution à la crise, la résignation commence-t-elle à prendre le dessus sur l’indignation chez les Libanais? Rencontre avec Nicolas Dot-Pouillard, chercheur à l’Ifpo pour qui la révolte des poubelles doit faire face à cinq contradictions et réponses de Marwan Maalouf, l’une des figures fondatrices du mouvement You Stink, aujourd’hui membre du collectif Pour la République.
 

1- Le slogan: le peuple réclame la chute du régime
Pour Nicolas Dot-Pouillard, la première contradiction de la révolte des poubelles est le slogan scandé lors des manifestations: «Le peuple réclame la chute du régime». Le slogan emprunté aux révolutions arabes s’applique difficilement au Liban, car le pays du Cèdre, contrairement aux autres régimes arabes, est basé sur un système confessionnel où les différentes communautés religieuses se partagent le pouvoir. Ainsi, lorsque le peuple réclame la chute du régime, il s’agit de se demander de quel régime peut-il bien s’agir? La preuve de cette contradiction est la réaction des hommes politiques libanais. Pas un parti politique libanais n’a choisi de dénoncer ces manifestations. Au contraire, la plupart ont récupéré leurs revendications à des fins politiques. Tammam Salam, lui-même, a dénoncé les «ordures politiques». Pour Marwan Maalouf, la priorité n’est pas de faire chuter le système confessionnel, mais plutôt de bâtir un nouveau système. «Nous ne remettons pas en cause le système confessionnel, mais la classe politique elle-même. Bien sûr notre rêve est de créer un Etat laïque au Liban, mais nous n’en sommes pas encore là. Nous menons notre révolte, bataille après bataille, insiste-t-il. Pour le moment, la première étape est le ramassage des ordures, un des droits les plus élémentaires. D’autres batailles suivront ensuite. Il est certain que nous ne rentrerons pas chez nous une fois les ordures ramassées».

 

2- Des stratégies divisées
La seconde contradiction mise en exergue par Nicolas Dot-Pouillard concerne les moyens d’action. Les différents mouvements nés de la crise des poubelles ont eu du mal à se mettre d’accord sur les tactiques à utiliser pour se faire entendre. Le mouvement «Vous puez» a choisi de s’en tenir au règlement de la crise sanitaire, tandis que le mouvement «Nous réclamons des comptes» a choisi de profiter de cette crise pour dénoncer plus largement toutes sortes d’injustices sociales. Ainsi, ils ont décidé d’occuper Zaitunay Bay pour dénoncer l’appropriation de l’espace public par le privé, mais aussi la corruption, l’accès à la sécurité sociale… Pour Marwan Maalouf, les différentes stratégies viennent de la composition même du mouvement populaire. De tous bords politiques et religieux confondus, des Libanais, que tout séparait il y a encore peu de temps, ont décidé de manifester ensemble pour hurler leur colère contre une classe politique corrompue. Pour des activistes tels que Marwan Maalouf, «cela fait déjà des années que nous manifestons, nous n’avons pas attendu la crise des poubelles». Mais le caractère inédit du mouvement est que, pour la première fois, des citoyens lambda sont descendus dans la rue pour réclamer un changement.

 

3-Des désaccords qui persistent
De par le caractère très hétérogène du mouvement social, des différends idéologiques ont divisé certains manifestants. Pour certains, par exemple, lorsqu’il s’agissait de manifester contre l’Etat, le portrait du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, devait être brandi comme tous les membres du gouvernement. Pour d’autres, bien qu’ils souhaitaient aussi rendre responsable le Hezbollah, hors de question, en revanche, de toucher au symbole de la Résistance libanaise et de la libération du Liban-Sud.
Marwan Maalouf souligne que ces différentes stratégies d’action résultent du caractère hétéroclite même du mouvement populaire. «La révolte des déchets est composée de plusieurs groupes qui travaillent ensemble, mais gardent aussi leur indépendance, d’où la prolifération de différents messages qu’on peut entendre lors des manifestations».

4-Le système continue de fonctionner
Malgré l’ampleur des manifestations de la révolution des poubelles, les dernières mobilisations portées par les politiques, qu’il s’agisse de celles de Michel Aoun au centre-ville ou à Nabatiyeh où Amal a encore rassemblé les foules, sans parler du rassemblement monstre du Hezbollah pour Achoura, sont la preuve que ce système qu’on dénonce est encore largement populaire chez une partie de la population libanaise. La contradiction est la suivante: en l’absence de services publics, beaucoup de Libanais dépendent encore largement des politiques pour un accès à l’éducation, à l’emploi ou à la santé.
«Il est difficile de comparer un mouvement apolitique d’à peine trois mois avec la puissance financière des partis politiques libanais, répond à cela Marwan Maalouf. Nous sommes fiers d’avoir pu influencer les slogans de certains partis qui ont repris nos idées. Aujourd’hui, nous espérons que ce mouvement puisse redonner de l’espoir aux Libanais et apparaître comme une alternative aux principaux partis libanais».

 

5- Un contexte régional à feu et à sang
La dernière contradiction concerne enfin le contexte régional dans lequel ces manifestations sont nées. La région est à feu et à sang. Pour beaucoup de citoyens, la question qui se pose dans ce contexte est la suivante: «Vaut-il mieux un Etat dysfonctionnel ou le risque d’une anarchie en cas de vide politique?». Tout le monde critique le gouvernement, mais tout le monde a peur de l’après.
Pour Marwan Maalouf, «nous sommes déjà dans un Etat de vide. Nous vivons parmi les ordures. Il n’y a pas eu d’élections parlementaires depuis 2009, les élections municipales sont, elles aussi, bientôt menacées. Comment la situation peut-elle être pire?», demande-t-il.
Si les manifestations de la révolution des poubelles ne parviennent pas à la chute d’un régime corrompu, elles auront au moins pour mérite d’avoir permis un éveil citoyen chez la jeunesse libanaise, une situation inédite depuis les années 90.

 

Soraya Hamdan

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