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Nº 3028 du vendredi 20 novembre 2015

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Crise syrienne. La feuille de route se précise, des écueils persistent

Au lendemain des attentats qui ont ensanglanté la capitale française, la réunion de Vienne, destinée à régler le conflit syrien, a bien évidemment pris une connotation particulière. Une feuille de route semble avoir été tracée, tandis qu’un dégel a été observé entre les positions de Moscou et Washington, lors de la réunion du G20, à Antalya.

 

Elle aurait pu être annulée, compte tenu du contexte. Pourtant, la troisième réunion rassemblant dix-sept pays, l’Union européenne et les Nations unies, autour d’une même table à Vienne, pour tenter d’avancer sur le dossier syrien, s’est bel et bien tenue au lendemain des attentats qui ont ensanglanté Paris. Après une minute de silence en hommage aux victimes, les discussions ont commencé et se sont visiblement avérées plus constructives que lors des précédentes sessions.
Il semble, en effet, qu’une feuille de route ait été établie, avec un calendrier précis, dans l’objectif de mener à une sortie de crise en Syrie, via une transition politique. Ainsi, au terme de la réunion, on apprenait dans le communiqué final que les participants «ont affirmé leur soutien à un cessez-le-feu et à un processus mené par les Syriens pour établir d’ici six mois (…) un calendrier pour rédiger une nouvelle Constitution». «Des élections libres et équitables auraient lieu conformément à cette nouvelle Constitution d’ici dix-huit mois», indique également le texte. Par ailleurs, les dix-sept pays participants se sont entendus sur «la nécessité de réunir le gouvernement syrien et des représentants de l’opposition pour des négociations formelles, sous les auspices de l’Onu, dès que possible, avec l’objectif du 1er janvier». Une quatrième réunion est, d’ores et déjà, prévue d’ici un mois pour faire un point sur les progressions. Côté européen, l’optimisme était, semble-t-il, de mise. «Ça a encore l’air utopique», a ainsi commenté le ministre allemand des Affaires étrangères, Frank-Walter Steinmeier, «mais nous avons toutes les puissances autour de la table». Même son de cloche de la part de la cheffe de la diplomatie européenne, Federica Mogherini, qui a qualifié la réunion de «très bonne», estimant qu’un «processus peut définitivement commencer». Pour autant, la question épineuse du devenir de Bachar el-Assad n’est toujours pas réglée. «Nous avons toujours des divergences concernant ce qu’il doit advenir de Bachar el-Assad», a admis le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, à l’issue de la réunion. Les Occidentaux, la Turquie et les pays arabes sunnites, Arabie saouditeen tête, exigeaient que le texte prévoit un calendrier pour sa mise à l’écart. Une demande rejetée, comme il fallait s’y attendre, par la Russie et l’Iran. «Nous avons insisté sur le fait que seule la personne de Bachar el-Assad pouvait déciderde se représenterou pas aux élections et seul le peuple syrien pouvait décider de voterou pas pour lui», a souligné dimanche le vice-ministre iranien des Affaires étrangères, Hossein Amir Abdollahian. Côté occidental, on argue que «la transition politique permettra de montrerque le maintien de Bachar el-Assad n’est pas possible. Les rebelles modérés n’accepteront le cessez-le-feu que si une perspective de changement est proposée», selon une source diplomatique.

 

Cessez-le-feu en gestation
En attendant, l’émissaire onusien pour la Syrie, Staffan de Mistura, a été chargé d’obtenir un cessez-le-feu entre les forces du régime syrien et l’opposition. Reste à savoir de quelle opposition il s’agit. Pour cela, la Jordanie a été chargée de «coordonner une liste commune de groupes terroristes» sous l’égide des Nations unies, afin qu’une autre liste de groupes, appartenant à l’opposition et susceptible de participer à la transition politique, puisse être définie. Autant dire que ce point risque de créer de nombreuses tensions entre les pays réunis à Vienne.
Dans l’immédiat, en effet, seuls l’Etat islamique et la franchise syrienne d’al-Qaïda en Syrie, le Front al-Nosra, sont reconnus comme des groupes terroristes par l’Onu. Alors que le régime syrien, ainsi que ses alliés iraniens et russes, qualifient de «terroristes» la plupart des groupes de l’opposition. Les tensions devraient se cristalliser autour des groupes ouvertement jihadistes et salafistes, comme Ahrar el-Cham et Jaich el-Islam, qui sont soutenus militairement et financièrement par les pays du Golfe et la Turquie. A contrario, les monarchies du Golfe et les Etats sunnites de la région ont appelé au placement sur la liste des groupes terroristes des milices chiites soutenues par l’Iran, comme le Hezbollah. La Résistance libanaise, qui combat ouvertement en Syrie aux côtés du régime, est déjà considérée comme terroriste par l’Union européenne et par le Département américain, alors que la Russie a déclaré, via son vice-ministre russe des Affaires étrangères, Mikhaïl Bogdanov, qu’elle «ne considérait pas le Hezbollah comme une organisation terroriste».
Le responsable russe a noté que des membres de l’aile politique du groupe terroriste chiite ont été légalement élus au Parlement libanais, et que l’organisation, qu’il a qualifiée de force «sociopolitique légitime» n’avait jamais effectué des attaques sur le sol russe. Ces divergences de vues des différents participants de Vienne risquent de compliquer l’obtention d’un consensus.

 

Dégel du G20
Malgré toutes ces positions divergentes qui semblent difficiles à accorder, un dégel a, en revanche, été amorcé lors de la réunion du G20 organisée dans la station balnéaire d’Antalya en Turquie, le week-end dernier.
A la surprise générale, Barack Obama et Vladimir Poutine se sont éclipsés durant 35 minutes pour une rencontre en tête à tête, à laquelle ont seulement assisté leurs conseillers respectifs. Un aparté largement consacré au conflit syrien et qualifié de «constructif» par la Maison-Blanche. Un responsable américain a par la suite indiqué que les présidents américain et russe ont apporté leur soutien à une transition politique «avec des négociations sous l’égide de l’Onu entre l’opposition syrienne et le régime, et un cessez-le-feu». Les attaques perpétrées à Paris par Daech semblent évidemment avoir un impact sur ce rapprochement entre les deux hommes que tout oppose et qui entretiennent de mauvaises relations. Si le chemin est encore long, il se pourrait bien que l’on assiste, dans les prochaines semaines, à un rapprochement de vues entre les deux pays, qui pourrait se concrétiser, entre autres, par la formation d’une coalition unique pour combattre l’Etat islamique. «Nous avons des objectifs stratégiques liés à la lutte contre l’EI, et ceux-ci sont proches l’un de l’autre, mais il reste toujours des divergences sur la tactique», a commenté un conseiller du Kremlin, Iouri Ouchakov. «Nous avons finalement enregistré des progrès modestes sur le front diplomatique», a commenté Barack Obama, depuis Antalya, en référence aux avancées enregistrées à Vienne.
Une alliance des deux coalitions existantes pourrait ainsi prendre la forme d’une concertation dans les raids aériens. Sur le terrain, la Russie soutient déjà, par des bombardements ciblés, les avancées des forces syriennes loyalistes appuyées par le Hezbollah et l’Iran dans la région d’Alep, mais aussi de Palmyre. Les Etats-Unis soutiennent, de leur côté, les nouvelles Forces démocratiques syriennes, une alliance d’unités chrétiennes, de milices arabes et de Kurdes proches des YPG pour conquérir Raqqa. Une union de leurs forces pourrait faire avancer considérablement la reculade de l’Etat islamique. Les conditions d’un point de rencontre entre Russes et Américains semblent réunies. Reste à savoir si cela se concrétisera.

Jenny Saleh

 

 

La France et Assad
«La France faisait partie des pays qui ont adopté une position très dure envers le sort du président Bachar el-Assad personnellement. Nous avons entendu tout le temps de nos amis français que le règlement de la question du départ du président Assad devait être une condition préalable pour des changements politiques», a déclaré Vladimir Poutine lundi. «Mais est-ce que cela a protégé Paris contre l’attentat terroriste? Non», a asséné le président russe, demandant implicitement à Paris de revenir sur son intransigeance.
Aurait-il été entendu par son homologue français? Peut-être bien. Depuis Paris, François Hollande a déclaré devant le Congrès, réuni lundi, que le président syrien «ne peut constituer l’issue mais (que) notre ennemi en Syrie, c’est Daech». Les attaques de Paris conduiront-elles la France à être moins intransigeante sur le sort de Bachar el-Assad? Les prochaines semaines le diront peut-être.

 

 

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