Sur la scène montréalaise, il est incontournable et en ces temps de xénophobie généralisée, il devient indispensable. Pour la 16e année consécutive, le Festival du monde arabe (FMA) prouve, par l’art et la musique, que ceux qu’on appelle «les Arabes» sont des créateurs, des artistes, des penseurs qui partagent leurs talents avec la communauté occidentale dans laquelle ils vivent.
Cette année, sa thématique et son illustration ont semé la controverse. Hilarus Delirus montrait un clown musicien dont la tête avait été tranchée par un sabre. Certains y ont vu une provocation. Pour le FMA, «un clown arabe privé de sa tête, c’est le symbole d’une culture arabe guillotinée, séparée des mots de ses grands poètes et libres penseurs, auxquels un hommage a été rendu par le FMA à travers la chanson». Comment garder la raison lorsque toute l’époque la perd? Par «le délire comme antidote».
Pour y arriver, il aura lutté Joseph Nakhlé, créateur et directeur du Festival du monde arabe. Depuis le jour où Alchimies, créations et cultures a décidé de montrer la face heureuse des Arabes en terre d’Amérique. Parce qu’il devient de moins en moins évident de renverser les préjugés et les non-dits sur la communauté arabophone. Avec des thématiques-chocs parfois: Vous avez-dit Arabe (2002), Prophètes rebelles (2006) ou Utopia (2012), ce festival de l’automne, très attendu à Montréal, ne cache pas ses couleurs: Harem (2005), Arabitudes (2010) et Tribales (2013). Le souci d’une équipe très soudée, active et engagée a toujours été de mettre l’accent sur la richesse de la diversité et sur le dialogue des cultures: Face à Face (2003), Liaisons andalouses (2008) et Mémoires croisées (2009).
En fait, par la dynamique qu’il crée dans la métropole canadienne, le Festival du monde arabe donne la possibilité de s’exprimer à tous ceux qui, de près ou de loin, s’intéressent à la culture arabe, la produisent ou s’en inspirent.
Un des moments forts de toutes les éditions se concentre sur les productions du festival lui-même. Regroupant des artistes autant canadiens, occidentaux qu’orientaux, les spectacles montés et offerts en version unique sont de toute beauté. On citera pour mémoire Dieu en 3D (2012), un spectacle tout à fait inédit et très fort en significations dans lequel les derviches tourneurs dansaient sur les incantations juives, psalmodiées par des prélats chrétiens…
Pour cette dernière édition de novembre 2015, en guise de soirée de clôture intitulée Takasim à corps perdu, c’est le virtuose irako-hongrois Omar Bashir, fils du fameux Mounir Bashir, qui a gratté admirablement du oud, accompagné de ses acolytes hors pair Arnold Antoni et Balint Petz à la guitare et par les voluptueuses danseuses (du ventre mais pas seulement) du groupe Inka Strobl, ainsi que de l’orchestre du groupe montréalais OktoEcho, un habitué du festival. Cet ensemble, dirigé par Katia Makdissi-Warren, module d’ailleurs avec brio ses instruments pour s’adapter et interpréter toutes les sonorités métissées du FMA. La veille, accompagnant l’auteure-compositrice-interprète Lynda Thalie, quelques musiciens de la formation OktoEcho ont fait flamber la scène de la Québécoise d’origine algérienne qui, entre coups de cœur et chansons engagées, a bien justifié son titre de Sirène des sables…
Deux événements parmi les quinze spectacles dans la catégorie des Arts de la scène, dix-huit débats et causeries au Salon de la culture, seize activités artistiques gratuites, deux classes de maître et cinq projections de film dont Ghadi d’Amin Dora (avec Georges Khabbaz) et Single, Married, Divorced d’Elie Khalifé.
Gisèle Kayata Eid (Montréal)