Depuis le 24 octobre, et jusqu’au 5 décembre, la villa Audi accueille l’exposition Weaving the sea, donnant à voir 12 objets, fruit d’une collaboration entre des designers et des artisans de six villes de la Méditerranée. Magazine a rencontré Georges Zouein, directeur de Gaia-Heritage, organisatrice de l’exposition.
Pouvez-vous nous donner plus de détails sur cette exposition?
C’est une exposition organisée par Gaia-Heritage, dans le cadre d’un projet financé par l’Union européenne, qui s’appelle Medneta. C’est un projet de coopération entre six villes méditerranéennes, qui porte sur le design et l’artisanat, leur renforcement et l’amélioration de leur rôle comme levier économique pour les quartiers historiques ou les quartiers oubliés, comme Mar Mkhayel.
Pourquoi ces six villes, Athènes, Florence, Valence, Tunis, Hébron et Beyrouth?
Dans certains projets de l’Union européenne, qui sont les projets de voisinage, il faut au moins autant de villes du Sud que de villes du Nord. L’idée était de mettre les designers et artisans ensemble de façon à former des couples. Or, les couples n’ont pas été créés de manière rigide, nous avons préféré les briser et les faire coopérer en une espèce de damier. Dans chaque ville, nous avons choisi quatre designers ou quatre designers et artisans. La différence est très difficile à établir entre un designer et un artisan, puisque l’artisan est aussi un designer. A Beyrouth, toutefois, nous n’avons pas d’artisans autant que nous avons des designers, surtout à Mar Mkhayel où il y a beaucoup de jeunes. Ce qui fait que nous avons sélectionné quatre designers de produits qui sont le Creative Space Beirut, fondé par Sarah Hermez, Marc Baroud qui dirige notamment le master en design à l’Alba, Tamara Barrage, une jeune designer qui démarre très fort, et Nathalie Khayat, la grande dame de la céramique. Ce travail de collaboration et d’interprétation du design par les artisans a souvent donné un produit hybride, tout à fait différent de ce qu’on pouvait imaginer, et qui reproduit, en fait, les échanges qui ont toujours eu lieu autour de la Méditerranée, que ce soit des échanges d’idées ou de produits.
C’est donc un échange entre les cultures?
Un échange entre les cultures et un échange entre les designers et les artisans. L’idée de départ, surtout par les temps qui courent, avec tous ces réfugiés qui s’en vont et meurent par la mer, qui quittent leur pays car ils souffrent de la guerre et du manque de ressources et de revenus, l’idée était donc de dire qu’ensemble nous pouvons faire mieux, nous pouvons trouver de nouveaux débouchés, de nouveaux marchés, nous pouvons trouver ensemble de nouvelles techniques qui vont améliorer la production. Après deux ans de travail sur le projet et six mois de préparation active, nous avons découvert, avec un grand plaisir, qu’il y a déjà des couples d’artisans et de designers, à l’instar de la designer tunisienne Samia Ben Abdallah et l’artisan grec Harris Vassiliadis, qui sont en train de préparer ensemble toute une ligne de produits pour la lancer en commun. C’est ce que nous recherchons et c’est ce qui est en train de se réaliser. Tout comme Carlos Salvador, de Valence, qui m’a chargé de dire à Creative Space Beirut qu’il aimerait poursuivre le travail avec eux, ou Marc Baroud et Anastasia Kandaraki qui développeront certainement des choses ensemble. C’est une toute petite étincelle, une première bougie que nous allumons, mais qui montre la voie.
Avez-vous rencontré des problèmes?
Des difficultés de transport, les douanes, les assurances, les emballages, souvent mal faits car ils ne sont pas habitués. Les réglementations de coopération, le cadre juridique, les droits d’auteur, la propriété intellectuelle ne sont pas les mêmes, en Grèce qu’en Tunisie par exemple. Il y a des pays qui sont beaucoup plus avancés que d’autres, le Liban est beaucoup plus avancé que les autres en design, tout comme Valence. Comment faire pour mettre tout cela ensemble, c’est une autre histoire. Mais il faut commencer à réfléchir à tout cela pour pouvoir ouvrir la porte. Nous avons démontré qu’il y avait une porte, maintenant il s’agit de l’ouvrir. Je crois que cela enclenchera de très belles problématiques.
C’est la première exposition du genre?
Oui, et c’est la première fois aussi, à ma connaissance, que dans un projet pareil on arrive à un produit fini. Ce n’est pas juste une expérience. Certes, nous avons beaucoup expérimenté le rôle du design dans la ville et la régénération des quartiers oubliés ou historiques. Nous avons appris de bonnes leçons, nous avons fait de bonnes choses, mais nous avons aussi reçu des claques, et c’est très bien, nous apprenons avec ça. Nous avons ainsi acquis des enseignements très importants qui feront l’objet d’une conférence que nous tiendrons à Athènes avec nos autres partenaires.
Pourquoi à Beyrouth?
Beyrouth est quand même une ville méditerranéenne, un port important dans l’histoire et une ville très dynamique. J’aurais aimé prendre Le Caire qui jouit d’une créativité extraordinaire dans certains endroits, mais qui est très compliqué et difficile. Chacun a pris ce qu’il savait déjà et nous avons mis tout cela ensemble.
Peut-être dans un deuxième projet, parce que j’espère qu’il y en aura d’autres, Le Caire en fera partie, et nous aurons quatre villes du Sud, plutôt que trois. Nous devons à tout prix continuer le travail car, pour l’instant, nous sommes dans la tranche de découverte, nous sommes en train d’apprendre. Mais cela ne suffit pas, il faut aller beaucoup plus loin, et il y a moyen de le faire.
Propos recueillis par Nayla Rached