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Mouna Béchara

Une indépendance jamais perdue


L’indépendance du Liban ne sera réelle que lorsque les ténors de la politique, ceux qui ont dégradé nos institutions, auront cédé la place à une nouvelle génération triée sur le volet de la connaissance et de l’honnêteté dans son sens le plus large. En attendant ce jour béni, où un hôte sera enfin appelé à rejoindre son palais présidentiel, des manifestations civiles et pacifiques ont rappelé aux Libanais ce célèbre 22 novembre 1943… Pour sa soixante-douzième année, l’ambiance était plus à la nostalgie qu’à la fête. Les portes de Baabda, que la tradition voulait largement ouvertes en ce jour de fête nationale, étaient dramatiquement fermées. Le président de la Chambre, comme le Premier ministre, par respect pour le vide laissé par l’absence du Premier magistrat de la République, se sont abstenus de le remplacer. Les militaires, mobilisés contre le terrorisme, déplorant des pertes humaines dans leurs rangs, et des soldats otages détenus depuis tant de mois sans beaucoup d’espoirs à l’horizon, n’avaient pas le cœur à défiler.
En revanche, alors que des rassemblements civils toutes professions, communautés et classes sociales confondues défilaient un peu partout dans le pays, un impressionnant drapeau était hissé sur le front de mer, rappelant la «Journée du drapeau», instaurée en 1979 par le ministre Boutros Harb, alors chargé de l’Education nationale. Ce symbole de l’Indépendance ne sera jamais perdu, quelles que soient les circonstances. Il a accompagné les diverses manifestations organisées par des magistrats, des hommes de religion toutes croyances confondues, des associations civiles, des mouvements populaires brandissant des slogans divers. Tous ces patriotes avides d’autonomie et de liberté ont défilé séparément par associations avec un même slogan: l’urgence de l’élection présidentielle. Les Kataëb, leur président Samy Gemayel en tête, avaient commémoré, la veille, l’assassinat en 2006 du député Pierre Gemayel, qui a payé de son sang des prises de position nationales gravées dans les mémoires des Libanais, jeunes et moins jeunes. Ils ont défilé le lendemain à Saïfi, devant leur quartier général. Les activistes, toujours présents, ne pouvaient pas manquer un rendez-vous aussi important sans rappeler les revendications populaires qu’ils clament depuis tant de mois.
Sur ce dimanche 22 novembre planait un nuage de tristesse. Chacun s’interrogeait sur son destin et sur celui de ses enfants dans un pays dirigé par tant d’irresponsables qui, pour des motifs le plus souvent d’intérêt individuel, ne voient l’avenir qu’à travers le bout de leurs lorgnettes. Comment peut-on parler d’une nation autonome et indépendante quand tous les regards scrutent les horizons pour savoir de quelle urne sortira le nom de celui qui possèdera la baguette magique capable de nous sortir de cette crise vitale?
Aujourd’hui, le monde a peur. Nous ne sommes plus la seule cible des nébuleuses terroristes. Le crime commis dans la banlieue sud de la capitale n’est pas resté isolé. Bourj el-Barajné n’avait pas encore fait le deuil de ses victimes, que la France, malgré une sécurité drastique, est dramatiquement frappée pour la deuxième fois, à dix mois d’intervalle, au cœur même de Paris. Après le terrible drame du 7 janvier à Charlie Hebdo, ce fut ce 13 novembre un véritable carnage dans trois arrondissements. L’avion russe explose dans le ciel égyptien et la Tunisie est le théâtre d’un abominable attentat contre un bus de la garde présidentielle. Les victimes ne se comptent plus.
Rien, hélas, ne permet de croire que ces crimes s’arrêteront de sitôt… Chaque jour apporte son lot de morts et de blessés, alors que des découvertes plus effrayantes les unes que les autres, toutes aussi menaçantes pour les pays qui se croient les mieux protégés. La Belgique, à la neutralité reconnue, est gangrénée par la présence de terroristes engouffrés dans des habitations modestes et anonymes. Mais tous ces pays ont juré de faire face et leurs citoyens refusent de changer leur manière de vivre et prouvent qu’ils ne baisseront pas les bras.
Les Libanais, quant à eux, ont donné très souvent la preuve de leur force de résilience. Elle ne leur a pas fait défaut en cette triste journée du 22 novembre où les parades et cérémonies officielles ont été remplacées par des défilés citoyens affirmant que notre indépendance, si souvent menacée et récupérée, résistera cette fois encore.

 

Mouna Béchara

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