Magazine Le Mensuel

Nº 3030 du vendredi 4 décembre 2015

Salon du livre

Le prêtre Markus Kneer défend l’islam. «Trouver une langue commune pour créer un dialogue»

Markus Kneer est un prêtre diocésain et philosophe allemand. Sans tabous, avec un sens critique marqué, il nous rappelle, à travers La personne en islam et au cours d’une rencontre avec lui, que le mélange est ce qui fera avancer le monde vers un avenir meilleur.
 

Quelles sont les grandes lignes de l’ouvrage La personne en islam?
Paru pour la première fois en 1964, cet ouvrage a été écrit par Mohammed Aziz Lahbabi, philosophe marocain qui s’interroge sur la personne dans l’islam. Une deuxième édition a vu le jour en 1967. Puis les rééditions se sont arrêtées et le livre s’est épuisé. J’ai voulu le rééditer. La maison d’édition belge Lessius m’a donné cette opportunité. Nous avons changé le titre La personne en islam, titre très précis pour notre époque qui se reflète dans le livre. Lahbabi parle de la personne en islam, du «je» musulman, de sa représentation, de son intégration dans un contexte de dialogue interreligieux. Lahbabi examine la «shahada», profession de foi en islam. Tout comme moi, il pense que cet acte de témoignage est essentiel pour exister en tant que personne. Mais cela ne peut être réalisé qu’à condition que ce témoignage soit fait librement. La personnalisation résulte donc de la liberté de choix et de la liberté religieuse. Nous avons voulu mettre en avant l’idéologie du livre, en ajoutant une introduction et en revoyant intégralement le texte, afin d’y apporter des annotations, des explications et en l’actualisant avec respect pour qu’il corresponde parfaitement à notre époque.

Comment l’actualité et la façon dont elle est traitée par les médias influencent-elles la vision que certains ont de l’islam?
Il y a un amalgame dangereux et on pointe du doigt l’islam dans sa globalité. Cela amène à des divisions. A notre époque, nous devrions sortir de la lutte intercommunautaire, nous n’appartenons pas seulement à une religion; de nombreux aspects créent une identité. Nous devrions être capables de reconnaître l’autre en tant que personne humaine avec éthique et être en mesure d’apporter une critique et autocritique constructives. Il est très important de se mélanger, d’être en contact avec des gens de communautés différentes. C’est rassurant, car cela permet d’apprendre à mieux connaître l’autre. Nous vivons dans des sociétés où nous avons peur de l’inconnu. Nous ne partons pas à sa recherche. Au Liban par exemple, il fut un temps où il était possible de rechercher cette reconnaissance mutuelle et où la critique était faite avec éthique; j’espère que cela est encore le cas. La prise de position de certains médias amène à se demander si l’objectif n’est pas de créer encore plus de divisions. Nous devons trouver une langue commune afin de créer du dialogue.

Comment percevez-vous la crise des réfugiés en Europe?
C’est un problème complexe qui amène les sociétés à se diviser et les pays à opter pour des solutions différentes. Il y a ceux qui, par peur (surtout à la suite des événements qui ont touché la France), refusent l’autre et ceux qui compatissent et veulent aider. Je crois que c’est un problème de mélange, de connaissance, de gestion et de peur. En Allemagne par exemple, la crise des migrants change la donne sur la scène musulmane. Beaucoup de personnes issues de la Turquie étaient venues pour travailler et combler un besoin et y sont restées. Aujourd’hui, avec les Syriens et les Irakiens, entre autres, il faut repenser notre approche et agir pour l’intégration. Les mosquées et les églises du pays travaillent dans ce sens (…). Cela permet de lutter contre la stigmatisation. Il faut arrêter de personnifier le mal dans ce que nous ne connaissons pas. Nous ne pouvons pas jeter la pierre sur toute une culture, une civilisation, un groupe, parce que des extrémismes se forment. Des extrémistes, il y en a partout, et du sang a coulé sous toutes les religions. En lisant les textes d’Amin Maalouf, on peut se demander ce que ressentait un musulman pendant la période des Croisades. Nous sommes dans une période où chacun recherche son identité, et, malheureusement, certaines personnes perdues de tous bords trouvent refuge dans l’extrémisme. En soutenant les personnalités de chacun et en redonnant du sens au «je», nous pourrions éviter la fuite de nos jeunes.

Le Liban… un laboratoire pour le dialogue interreligieux?
Ce qu’il y a de miraculeux au Liban, c’est que chacun porte librement sa religion. Ce que nous échouons en Europe. Dans ce sens, le Liban est l’un des meilleurs exemples pour le dialogue inter et intra-religieux. Toutefois, il a encore besoin d’un long chemin de réconciliation. De plus, le discours de «martyre» doit s’arrêter si l’on veut aboutir à la paix et au pardon. Il faut aborder une approche honnête de l’histoire afin d’aller vers un avenir meilleur. Je comprends, vu l’histoire du pays, qu’il y ait ce besoin de vouloir représenter chaque communauté au niveau de l’Etat, mais il faudrait trouver d’autres moyens que politiques, il faut une place laïque et une séparation progressive du pouvoir
et de la religion, sinon je ne vois pas comment les divisions et les blocages s’arrêteront.
 

Propos recueillis par Anne Lobjoie Kanaan

Related

Sylvie Germain. La frontière floue entre l’homme et l’animal

22e Salon du livre francophone de Beyrouth. Pour que triomphent les «libres livres»

Françoise Prêtre. «Le livre papier et le livre numérique peuvent cohabiter»

Laisser un commentaire


The reCAPTCHA verification period has expired. Please reload the page.