La question de la nouvelle loi électorale n’est pas moins importante ni moins épineuse que celle de la présidentielle. Si le chef de l’Etat préside aux destinées de la République durant six ans, il est clair que ce n’est pas lui qui gouverne. C’est bien la loi électorale qui définit l’identité de ceux qui dirigeront le pays pendant des années, sinon des décennies.
Lorsque les chrétiens dénoncent des lacunes dont ils font les frais au plan de la représentativité, leurs doléances sont liées à la nature du mode de scrutin législatif et non aux prérogatives du chef de l’Etat. Preuve en est les divergences sur les priorités affichées dans les séances du dialogue: l’élection présidentielle doit-elle précéder la nouvelle loi électorale ou l’inverse?
Ce différend pourrait être réglé via un package deal global incluant les deux présidences (celle de la République et celle du Conseil), en plus de la loi électorale. Ce qui équivaut à dire pratiquement qu’il n’y aura pas de présidentielle en l’absence d’une entente sur le mode de scrutin. Mais les récentes informations politiques qui circulent sur les dialogues en coulisse, notamment les coulisses parisiennes, révèlent que les seuls dossiers qui ont été abordés sont ceux des deux présidences, point final. La loi électorale que l’on qualifie de «nœud gordien» et de «grande bataille politique» a été renvoyée aux calendes grecques. Ainsi, le gel du débat sur un nouveau mécanisme de scrutin, notamment la proportionnelle, sera le prix politique que le Moustaqbal obtiendra au cas où il va jusqu’au bout de son choix en appuyant à la présidence un candidat issu des rangs du 8 mars, en l’occurrence Sleiman Frangié. C’est que le Moustaqbal possède un bloc parlementaire de 40 députés, or la proportionnelle, quelle que soit sa formule, rétrécirait ce bloc de moitié environ. Une raison pour laquelle les députés de Saad Hariri ne sont pas enthousiastes à l’idée d’une révision de la loi électorale. La tâche de la commission en charge de l’étude d’une nouvelle loi, qui a tenu lundi sa première réunion, comme tout le monde le sait, est difficile et quasi impossible.
Coordination CPL-FL
Malgré le fait que tout a été dit et redit depuis 2005 sur cette loi, certains analystes pensent qu’il n’est pas impossible de rebattre les cartes si le CPL et les FL s’attellent conjointement à l’examen d’un nouveau projet. Les deux formations continuent à coordonner leurs efforts à deux niveaux au chapitre de la loi électorale, à savoir veiller à lui accorder la priorité et à l’inscrire au menu de tout dialogue, qu’il soit bilatéral ou multilatéral.
Le général Michel Aoun avait proclamé son appui à la proportionnelle répartie sur 15 circonscriptions. Il avait été vite rejoint par le secrétaire général du Hezbollah, sayyed Hassan Masrallah, puis par le président Nabih Berry, qui avaient souligné à cette période que l’organisation des législatives ne se fera qu’en application de la proportionnelle.
Quant au Dr Samir Geagea, premier concerné par le dialogue avec le CPL sous la houlette de la déclaration d’intentions, il a tout de suite rejeté cette proposition, parce qu’à son avis, la proportionnelle encourage l’extrémisme, alors que lui reste foncièrement attaché à la présence chrétienne et à l’islam modéré. Les Forces libanaises avaient, par le passé, mis au point, en coopération avec le Moustaqbal et le Parti socialiste progressiste (PSP), un projet mixte associant le scrutin majoritaire à la proportionnelle. Mais elles savent bien, tout comme le Courant patriotique libre le sait, que les deux projets avancés n’ont aucune chance d’aboutir. Le premier étant rejeté par les sunnites représentés par le Moustaqbal, ce qui lui ôte toute conformité au pacte national, et le second étant inacceptable pour le tandem chiite Amal-Hezbollah, sachant que même Walid Joumblatt y a renoncé récemment. Ce qui ramène au point zéro pour rechercher une nouvelle formule adaptée à tous. Restent plusieurs questions: si le Moustaqbal et Joumblatt abandonnent la loi mixte qu’ils avaient concoctée avec les FL, et préfèrent réactiver la loi de 1960, sachant qu’un retour à la loi orthodoxe n’est plus à l’ordre du jour… le choix s’arrêtera-t-il à la proportionnelle agrémentée de quelques amendements? Ou encore si la loi actuelle est maintenue, les FL iront-elles jusqu’à signer une alliance électorale avec le général Aoun malgré le fossé politique qui les sépare? La tactique prévaudra-t-elle pour les FL au détriment de la stratégie, comme ce fut le cas entre le Moustaqbal et le Hezbollah?
Chaouki Achkouti
Frangié s’est-il engagé?
Le député Sleiman Frangié se serait engagé auprès de Saad Hariri à maintenir la loi électorale en vigueur (proche de celle de 1960). Certaines sources révèlent que l’ex-Premier ministre n’est pas du tout attaché à la loi mixte qu’il avait approuvée à contrecœur (comme Walid Joumblatt) pour se débarrasser du projet de loi orthodoxe et saper une éventuelle entente entre Michel Aoun et Samir Geagea.