Organisé par la fondation Heinrich Böll, l’événement Crises trigger creativity: arts and politics in Lebanon se veut comme un rappel de l’importance de l’art dans les moments de crise.
Les déchets sont toujours dans les rues, les poubelles jonchées et quand les bennes sont ramassées, nos saletés sont déposées dans des endroits où elles sont nuisibles à notre santé, avec l’hiver et les pluies qui sont là, la situation ne fait que se dégrader. Et, pourtant, rien n’est encore fait! Et les manifestations se poursuivent, avec moins d’ampleur peut-être, sûrement, lassitude, désespoir, bras baissés… il ne s’agit pas là de se prêter à un mouvement d’analyse ou de nationalisme, ou même de politique, mais de rendre hommage à l’esprit créatif qui a animé les manifestations qui ont récemment eu lieu au centre-ville, à Riad el-Solh.
C’est l’intention de la fondation Heinrich Böll qui a organisé, le vendredi 4 décembre, à Hamra, dans l’immeuble Assaf, l’événement Crises trigger creativity: arts and politics in Lebanon, qui s’est déroulé en deux temps, une exposition et une table ronde. «Parce que Heinrich Böll est une association politique, on a senti le besoin de faire quelque chose par rapport aux manifestations au Liban, explique Ariane Langlois, directrice du programme culturel au sein de l’organisation. On ne peut pas prendre une position pour ou contre, on voulait être neutre». Place donc à l’art, à l’expression artistique engagée. Comme son nom l’indique, cet événement vise à montrer l’importance que revêt l’art dans les moments de crise.
Quand l’image s’exprime
L’art sous toutes ses formes, peinture, dessin, musique, photographie, théâtre, montage… purement artistique, sarcastique, engagé, politique, ironique, critique forcément, toujours… Lors des manifestations civiles, place Riad el-Solh, les réseaux sociaux ont été presque inondés d’images en tous genres que nous avons tous eu l’occasion de voir. Peut-être pas tous, peut-être pas toutes les images, peut-être pas ceux qui ne sont pas dans le domaine de l’art. C’est en pensant à eux, à ceux qui ne travaillent pas dans ce domaine qu’Ariane Langlois s’est décidée à monter cet événement pour rappeler, si besoin est, le rôle des artistes durant les manifestations, pour rendre un hommage à ces artistes qui y ont contribué. Ashekman, Al Rahel al-kabir (The great departed), Fourate Chahal, Raed Charaf, Cynthia Choucair, Sabine Choucair, Ibrahim Dirani, Ivan Debs, Philippe Farhat, Rafik Majzoub, Tania Saleh, Jana Traboulsi, Fouad Yammine, Zoukak…
De la crise des déchets à toutes les carences sociales du quotidien dont souffrent les Libanais, du «face-à-face» entre les manifestants et les forces de l’ordre jusqu’au mur de blocs de béton, ce «mur de la honte», qui a été érigé de part en part et enlevé en moins de 24 heures, le temps nécessaire pour être recouvert de graffitis, des vidéos de parodie sur l’attraction touristique des poubelles amoncelées jusqu’à la dénonciation d’un système politique communautaire corrompu dans sa totalité, comme en témoigne notamment la magnifique chanson Kelloun ya3né kelloun d’Al Rahel al-kabir, devenue en l’espace de quelques clics sur la Toile, l’emblème d’un nouvel hymne. Une perception de renouveau, d’audace, d’authenticité de citoyens lambda qui recherchent une appartenance dans ce qui ne leur a jamais appartenu, mais qui leur revient de droit, les germes d’un nouveau patriotisme qui se mettrait en place, dépoussiéré, démilitarisé, décommunautarisé, libre enfin.
Voulu comme un événement instantané, un «seul coup», («one shot»), et non dans une optique de rétrospective puisque le mouvement de manifestation est toujours en cours, comme l’explique encore Ariane Langlois, cet hommage, décliné en exposition, a été suivi d’un débat qui a regroupé certaines des figures majeures des manifestations: Charbel Nahas, Lucien Bourjeily, Ghida Frangieh, Muneira Hoballal et Jad Chaaban. Les panélistes se sont notamment interrogés sur un certain nombre de questions que le mouvement de revendication civile: les artistes ont-ils commencé à exprimer leur colère politique à travers des graffitis, chansons, performances et poésie? Cette forme d’expression vise-t-elle à diffuser des messages politiques ou à imposer des demandes politiques? Comment le public perçoit-il la situation? Cette activité artistique influe-t-elle positivement sur les démonstrations ou octroie-t-elle seulement un moment de gloire à certains artistes?
Nayla Rached