L’annonce par le vice-héritier du trône saoudien, le prince MBS (Mohammad Ben Salmane), de la création d’une coalition contre le terrorisme a pris de court, non seulement la plupart des analystes, mais aussi certains pays dont le nom a été cité comme faisant partie de cette nouvelle structure. Le Pakistan, par exemple, un des Etats musulmans les plus peuplés, n’a pas caché sa surprise, tout comme certaines voix au Liban d’ailleurs. Il semble que la plupart des membres de cette coalition n’ont pas été convenablement consultés et que ce projet a été annoncé à la hâte, sans véritable préparation en amont et en aval. On sait, seulement, que 34 pays ont décidé d’unir leurs efforts pour «lutter contre le terrorisme» et vont créer un centre d’opération et de coordination, basé à Riyad.
L’annonce du prince MBS suscite une foule de questions sur le timing de son initiative et sur le rôle de cette énième coalition, surtout que des pays clés dans la lutte contre le terrorisme, comme l’Irak, l’Iran, le sultanat d’Oman et l’Algérie n’en font pas partie. Pourtant, ils sont tous confrontés au même danger et ont acquis une précieuse expertise dans le domaine de la lutte antiterroriste. Pourquoi l’Indonésie, le plus grand pays musulman au monde, ne fait-elle pas partie de cette coalition?
La question la plus légitime est celle de savoir si cette coalition a réellement pour objectif de combattre le terrorisme ou de faire face à l’axe Russie-Iran-Irak-Syrie, qui, lui aussi, affirme le combattre?
Une analyse des développements des dernières semaines permet d’avancer des éléments de réponses à toutes ces interrogations et de dégager une série d’indicateurs intéressants.
Premièrement: l’annonce de la création de la coalition intervient alors que des voix s’élèvent aux Etats-Unis, notamment celle de l’influent sénateur John McCain, pour demander aux «pays sunnites» de lever une «armée de cent mille hommes», qui s’ajouteront aux milliers de militaires américains déjà présents sur le terrain, pour combattre Daech.
Deuxièmement: la création de la coalition sunnite a été précédée par le déploiement, en Irak, de plusieurs centaines de soldats turcs, en dépit du refus clair et net du gouvernement central de Bagdad de toute présence militaire étrangère sur son sol.
Troisièmement: le revenant John Bolton, le plus éminent faucon des néoconservateurs américains, a publié récemment un article prévoyant l’édification inéluctable d’un «Etat sunnite» sur les ruines du califat d’Abou Bakr el-Baghdadi, dans l’Est syrien et l’Ouest irakien.
Quatrièmement: dans cette même région, les Etats-Unis envisagent un engagement au sol et ont commencé à envoyer des unités spéciales, sans obtenir, au préalable, le feu vert des autorités syriennes.
Cinquièmement: la création de la coalition a été précédée par une conférence de l’opposition syrienne réunie à la hâte en Arabie saoudite pour nommer la délégation qui négociera avec le régime syrien. Cette conférence a été la cible de vives critiques de la part de plusieurs factions de l’opposition syrienne, de la Russie, de l’Iran, du régime syrien et a été boycottée par les Kurdes.
Tous ces éléments nous permettent de dire que les puissances régionales sunnites tentent de rassembler, aussi rapidement que possible, le plus de cartes disponibles en prévision des changements dramatiques à venir.
En effet, les six premiers mois de 2016 devraient connaître une intensification de la lutte contre Daech, avec une tentative sérieuse de reprendre Mossoul et, peut-être, Raqqa. L’EI sera isolé dans des régions désertiques entre la Syrie et l’Irak. La coalition sunnite se prépare, sur le conseil des Américains, à remplir le vide qui sera laissé par le recul de Daech, sinon c’est la Russie et ses alliés qui risquent de s’installer.
Pour ceux qui ne l’ont pas encore compris, Washington et les puissances régionales se préparent à se partager la Syrie et l’Irak – le Yémen aussi -, comme un prédateur qui dépèce sa proie.
C’est dans ces moments que l’on souhaiterait entendre, haut et fort, les voix libanaises appelant à la fameuse «distanciation».
Paul Khalifeh