Magazine Le Mensuel

Nº 3037 du vendredi 22 janvier 2016

POLITIQUE

Libération de Samaha. Une clémence mal placée?

Le choc provoqué par la décision provisoire de mise en liberté sous caution de l’ancien ministre Michel Samaha a alimenté une nouvelle polémique politique. Le 8 mars stigmatise une «politisation à outrance d’une affaire strictement judiciaire». Le 14 mars parle d’un «crime contre la dignité des Libanais».

La libération provisoire de Michel Samaha serait-elle un prélude à sa remise en liberté définitive? Certains le craignent.
Pourquoi l’affaire a-t-elle été déférée devant le tribunal militaire plutôt que devant la Cour de justice ou devant la Cour de Sûreté de l’Etat? Le Conseil des ministres à l’époque de l’arrestation de Samaha, en août 2012, n’a pas envisagé la possibilité de transférer l’affaire devant la Cour de justice, considérant qu’il s’agissait d’une simple tentative d’attentat, et non d’un attentat.
Le jeudi 14 janvier, Michel Samaha est ainsi libéré sous une caution de 150 millions de livres libanaises et une interdiction d’aborder son affaire en public, y compris sur les réseaux sociaux, et de voyager avant une année, à dater de sa remise en liberté. Son passeport libanais lui a été confisqué. Arrivé chez lui, Samaha a affirmé aux journalistes que s’il était astreint au silence par la justice militaire concernant son procès, il n’en poursuivrait pas moins son activité politique.
Arrêté le 9 août 2012 en flagrant délit de transport d’explosifs pour le compte du chef des services de sécurité syriens, le général Ali Mamlouk, Michel Samaha a purgé une peine de quatre ans et demi de détention (trois ans et demi de facto, l’année judiciaire étant de neuf mois).
Le dossier Samaha avait suivi un long chemin. Plusieurs erreurs de parcours ont été signalées. D’abord, le non-transfert de l’affaire devant la Cour de justice, ensuite la dissociation des deux dossiers Samaha et Mamlouk, sous prétexte de l’impossibilité d’interpeller le second.
 

La colère du 14 mars
Le 15 septembre dernier, en vertu d’un arrêté signé par le ministre de la Défense, Samir Mokbel, sur décision du commandant en chef de l’armée, le général Jean Kahwagi, deux des quatre officiers délégués en tant que membres de la Cour de cassation militaire sont remplacés: l’officier Ahmad el-Hosni par Oussama Atchane, et Tony Chehwane par Gabriel Khalifé. Alors que les responsables de ce changement soulignent qu’un arrêté de cette nature doit être pris annuellement, un officier ne pouvant être délégué au tribunal militaire que pour une durée limitée d’un an renouvelable, les opposants à la décision de la Cour y voient le prélude à la décision prise, surtout que les deux membres sortants étaient opposés à la mise en liberté de Michel Samaha.
Pour le 14 mars, la décision, très contestée, de la Cour de cassation militaire est suffisante pour justifier un transfert du dossier à la Cour de justice dont les verdicts sont sans appel. Toutefois, le procès Samaha est toujours en cours devant la Cour de cassation militaire et porte sur les nouveaux chefs d’accusation avancés par le procureur militaire, en rapport notamment avec l’activité terroriste liée au transfert d’explosifs. Le ministre de la Justice, Achraf Rifi, avait réclamé la dissolution du tribunal militaire à tous les niveaux, cette instance d’exception qui a «porté atteinte à la sécurité nationale libanaise et à la sécurité des Libanais». Un projet dans ce sens est en cours d’étude.
Au niveau de la rue, les réactions sont immédiates. Des jeunes du 14 mars et du Parti socialiste progressiste (PSP) s’attroupent place Sassine, face à l’appartement de Michel Samaha, et à deux pas du lieu où le général Wissam el-Hassan a été assassiné en 2012. Accusant Samaha de «terroriste», les jeunes se font entendre. Ils réclament la dissolution du tribunal militaire ou la nomination de juges indépendants. Les juristes du 14 mars suivent le mouvement. Plusieurs sit-in de protestation ont lieu à Beyrouth, à Tripoli et à Halba, dans le Akkar. Des routes sont bloquées dans la capitale et dans les régions. Des vidéos anciennes sont diffusées sur les aveux de Samaha. D’autres révèlent pour la première fois des aveux que Samaha avait faits durant l’enquête après son arrestation. L’affaire se corse. Elle n’est pas près d’être résolue.

Arlette Kassas
 

Bio en bref
Michel Samaha est né en 1948 à Jouar. Entre 1973 et 1974, il préside la Ligue des étudiants de l’Université Saint-Joseph (USJ). En 1992, il est élu député du Metn et nommé ministre de l’Information dans la même année. Depuis la fin de la guerre, il devient le conseiller du président syrien Bachar el-Assad. Il est arrêté le 9 août 2012 et ses avoirs sont gelés aux Etats-Unis à la fin de cette année. Le 13 mai 2015, il est condamné par le tribunal militaire à 4 ans et demi de détention pour le transport d’explosifs destinés à perpétrer des attentats au Liban.

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