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Nº 3037 du vendredi 22 janvier 2016

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Téhéran récupère ses milliards et pompe son pétrole. Quand l’Iran se réveillera

Première conséquence de l’accord conclu entre les 5+1 et l’Iran sur le dossier nucléaire, la levée des sanctions économiques et financières qui paralysaient l’économie du pays. Que va faire l’Iran de cette manne financière? Quel sera l’impact de son retour dans le concert des nations, sur les plans économique, régional et géopolitique? Analyse.

Le 16 janvier restera, sans aucun doute, une date importante pour la République islamique d’Iran. Samedi dernier, les grandes puissances, les fameuses 5+1, ont finalement mis un terme au très long feuilleton politico-diplomatique qui assombrissait les relations avec l’Iran, en levant les sanctions économiques. Téhéran n’est désormais plus mis au ban de la communauté internationale et l’Iran semble prêt à réintégrer le concert des nations. Reste maintenant à savoir ce que cette levée des sanctions économiques et financières va changer pour l’Iran, ou pour la région.
Si quelques observateurs ont lié la chute des cours du prix du brut au retour de l’Iran sur le marché, il semble, toutefois, que Téhéran n’ait que peu à voir avec cet effondrement. Lundi, le cours de l’or noir est passé sous la barre des 28 dollars, en Asie, alors qu’il plafonnait à 30 dollars deux jours auparavant. Bien évidemment, étant un grand producteur de pétrole, l’Iran ne se privera pas d’augmenter sa production.

 

Bouffée d’oxygène
Dans l’immédiat, la République islamique a annoncé qu’environ 500 000 barils/jour supplémentaires seraient mis sur le marché, l’objectif étant d’atteindre le million de barils quotidien d’ici la fin de l’année. Il ne faut pas pour autant accuser Téhéran d’être à l’origine de la chute des prix du brut, la dégringolade était déjà marquée ces derniers mois, avec à son origine, l’Arabie saoudite. Le royaume wahhabite souhaitait marquer son mécontentement quant à la production américaine de pétrole de schiste. Selon le spécialiste de l’Iran Thierry Coville, interviewé par L’Express, «Téhéran n’est pas pour grand-chose dans cette chute. En raison des sanctions, la production et les exportations iraniennes se sont effondrées depuis 2011».
Sur le plan économique intérieur, en revanche, les Iraniens ou, en tout cas, les autorités iraniennes, devraient engranger pas moins de 32 milliards de dollars, selon Valiollah Seif, le président de la Banque centrale d’Iran, cité mardi par la télévision d’Etat. Il s’agit là des avoirs bloqués dans les banques internationales que Téhéran pourra récupérer avec la fin des sanctions économiques et financières.
Pour les Iraniens, ce déblocage devrait apporter une bouffée d’oxygène sur le plan économique, alors que la population a été littéralement étouffée par les sanctions, avec un taux de chômage plafonnant à plus de 20%. C’est sans doute cette bombe à retardement économique qui a poussé l’Iran à négocier sur le dossier nucléaire. Concrètement, cet influx d’argent devrait permettre à Téhéran d’importer de nouveaux biens, mais aussi de développer son marché à l’export. De grands plans d’infrastructures devraient être aussi au programme, tout comme le renouvellement de son aviation civile. Boeing et Airbus sont déjà sur les rangs, comme on l’imagine.
Pour Ardavan Amir-Aslani, auteur du livre Iran: le sens de l’histoire, à paraître en février prochain (éditions du Moment), «C’est un fait que le gouvernement du président Hassan Rohani n’aura d’autre choix que celui de consacrer l’ensemble des nouvelles ressources à l’essor de l’économie iranienne». «Il a été élu sur la promesse de mettre un terme à l’isolement de l’Iran et à l’ostracisme dont ce pays fait l’objet depuis maintenant plus de 37 ans». A la question de savoir si l’Iran pourrait être tenté de mettre ces nouvelles ressources à profit pour exporter le concept de la République islamique, Amir-Aslani répond par la négative. «Rohani ne peut se permettre de consacrer cette nouvelle ressource à l’aventurisme international. Le peuple iranien a besoin de preuves concrètes des conséquences positives promises», estime-t-il. «Les attentes sont importantes. Les sommes dont l’Iran est censé disposer ont été par ailleurs largement exagérées. Au grand maximum, il disposera de 30 milliards d’euros. Cette somme a, d’ores et déjà, été consacrée à de grands projets d’infrastructures dont le pays a grandement besoin». Pour le spécialiste, Téhéran devrait privilégier, entre autres, le secteur pétrolier, «dont la mise à niveau nécessite plus de 150 milliards d’euros d’investissements».
Le Fonds monétaire international (FMI) a, de son côté, annoncé une prévision de croissance avoisinant les 5%. L’Iran aura, en tout cas, fort à faire dans un premier temps pour créer des emplois sur le marché intérieur. Et devrait aussi tabler sur une sortie de la dépendance aux hydrocarbures, compte tenu des prix bas du pétrole.  Téhéran peut aussi compter sur les investisseurs étrangers, qui se pressent déjà depuis plusieurs mois en prévision du retour du pays dans le concert des nations.

 

Réformes nécessaires
Amir-Aslani n’hésite d’ailleurs pas à déclarer: «L’Iran sera la Chine du Moyen-Orient». La République islamique dispose de nombreux atouts dans sa manche. «D’abord, la réussite iranienne sera garantie par sa principale richesse, celle de sa jeunesse hautement éduquée. Aucun pays de la région ne saurait rivaliser avec l’Iran au niveau des compétences scientifiques, techniques et technologiques», souligne l’expert. «Par ailleurs, l’Iran est un pays fortement industrialisé et capable de produire l’ensemble de ses besoins localement, certes avec des niveaux de qualité inégale. A cela se rajoute le fait que l’Iran recèle en son sein les principales réserves gazières prouvées au monde, ainsi que la troisième réserve pétrolière», précise-t-il. «Rajoutez ces deux facteurs à l’emplacement géoéconomique exceptionnel du pays entre l’Asie centrale et le golfe Persique, juste au milieu du chemin reliant l’Europe à l’Asie, et vous avez là l’ensemble de facteurs de sa réussite à venir», annonce-t-il.
Pour ce faire, Téhéran devra toutefois ajuster sa politique et mener des réformes essentielles pour lutter, par exemple, contre la corruption et faire baisser l’inflation galopante. En prévision de la levée des sanctions d’ailleurs, le gouvernement mené par Hassan Rohani a déjà doté le pays d’un système fiscal et de nouveaux contrats pétroliers favorables pour les investisseurs étrangers. Mais il pourrait se heurter à l’hostilité des Gardiens de la Révolution, des rouages importants de l’économie du pays depuis de nombreuses années.
Autre obstacle qui va se poser sous peu au président Hassan Rohani, également, les législatives prévues en février, ainsi que les élections de l’Assemblée des experts le 26 février. Ardavan Amir-Aslani souligne d’ailleurs que «Rohani inquiète déjà beaucoup les milieux conservateurs». En cause, «sa popularité à la suite de l’accord nucléaire comme une menace pour leur longévité à terme». «Ils ne manqueront pas de contrôler le résultat des élections à venir en limitant le nombre de candidats réformateurs. Pour autant, ils ne pourront pas non plus radicalement altérer la volonté nationale telle qu’elle sera exprimée dans les urnes. Le président iranien aura donc besoin de jongler avec les uns et les autres afin de ne pas trop brusquer les pouvoirs en place», indique le spécialiste. Les élections de février feront sans doute date, car la population semble montrer un réel engouement. Reste à savoir ce que le camp conservateur laissera faire. D’ores et déjà, le Conseil des gardiens, qui valide les candidatures aux élections, a retoqué 60% des candidats aux législatives, dont celles de 50 députés qui souhaitaient renouveler leurs mandats.

 

Géopolitique régionale
La levée des sanctions qui touchaient l’Iran devrait aussi, on s’en doute, avoir un impact sur la géopolitique régionale, voire internationale. L’Iran va-t-il pour autant retrouver le rang qui était le sien à l’époque du shah? Ardavan Amir-Aslani estime que «la chute des cours pétroliers aura un impact radical sur la capacité des pays arabes du golfe Persique, notamment celle de l’Arabie saoudite, de poursuivre leur campagne afin de réduire le soi-disant croissant chiite». Pour le spécialiste, «les Iraniens, de leur côté, sont obligés de construire un pays qui a été mis au ban de la communauté internationale depuis plus de 30 ans». «Ceci ne signifie pas pour autant que les deux belligérants vont ranger leurs sabres», prévient Amir-Aslani. «Les Saoudiens sont convaincus de la volonté des Iraniens de les encercler avec les Houthis au Yémen et les alliés iraniens chiites à Bagdad, Damas et Beyrouth. Les Iraniens, pour leur part, perçoivent l’émergence de l’Etat islamique comme une menace existentielle. Ainsi, le conflit irano-saoudien ne manquera pas de continuer et prendra probablement une forme encore plus violente». Une paix par l’équilibre régional ne serait donc, a priori, pas à l’ordre du jour. Ce point de vue n’est pas partagé par la chercheuse Azadeh Kian, dans L’Express. Pour elle, «Reconnaître à l’Iran la place qui est la sienne dans la région devrait permettre aussi d’atténuer les tensions régionales». «Avoir enfin invité Téhéran à la table des discussions sur la Syrie est une bonne chose. L’Iran a compris qu’il ne peut asseoir sa position régionale dans un climat de tension. Les autorités sont conscientes du coût économique et humain de l’engagement en Syrie», souligne-t-elle. «L’Iran émerge comme une puissance régionale qui va vers la modération», ajoute Azadeh Kian. Son optimisme n’est pas partagé par tous les experts. D’autant que l’Iran, s’il se montre plutôt conciliant jusqu’à présent avec les Occidentaux, apparaît davantage intransigeant vis-à-vis des pays arabes, notamment sur le dossier syrien, où il bénéficie, de surcroît, de l’appui de Moscou.

Jenny Saleh
 

«Grand Satan» vs «Axe du mal»
Quelles relations vont entretenir les anciens ennemis d’hier, à savoir les Etats-Unis et l’Iran? Si plusieurs signaux positifs sont intervenus ces derniers mois avec l’accord sur le nucléaire, mais aussi le changement de ton de Washington vis-à-vis de Téhéran sur le dossier syrien, peut-on pour autant s’attendre à un rétablissement des relations entre les deux pays? Le week-end dernier, on a encore assisté à un échange de prisonniers entre la République islamique et les Etats-Unis qui, selon les Américains, n’aurait rien à voir avec la levée des sanctions. Barack Obama, en personne, a salué «les progrès historiques» de Washington et Téhéran, tandis que Hassan Rohani se félicitait de l’ouverture d’une «nouvelle page». Ce dégel apparent ne rime pas pour autant avec une normalisation. Le président américain a souligné les «profondes différences» qui persistaient avec un Iran «déstabilisateur», évoquant les violations des droits de l’homme, ou encore le programme de missiles balistiques – pour lequel le Trésor américain a pris dimanche des sanctions. De même, l’Iran demeure sur la liste noire américaine des «Etats soutiens du terrorisme». L’Administration Obama reste toutefois convaincue que l’Iran peut jouer un rôle constructif sur bien de sujets, mais avance doucement, sans doute pour ne pas trop affoler ses alliés arabes, dont l’Arabie saoudite, que l’accord sur le nucléaire avait refroidi, ou Israël. Cette politique durera-t-elle? Pas si sûr, avec la perspective des élections présidentielles américaines le 8 novembre prochain.

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