Le ministre du Travail, Sejaan Azzi, revient pour Magazine sur les causes principales du chômage au Liban et les moyens mis en œuvre par le ministère pour les combattre.
Comment a évolué l’emploi au Liban de 2011 à ce jour?
S’il est très difficile d’obtenir des statistiques précises au Liban, on peut toutefois estimer que le taux de chômage a au moins doublé depuis 2011. Selon la dernière étude de la Banque mondiale, ce dernier s’établissait à 11% de la population avant le début de la crise syrienne. Entre 2012 et 2014, le nombre de chômeurs a au moins augmenté de 346 000. En 2014, nous estimons le taux de chômage à 25% de la population active, soit 400 000 personnes. Ce bond s’explique évidemment par l’arrivée massive de réfugiés syriens au Liban. Aujourd’hui, selon les dernières études de la Banque mondiale et de l’Organisation internationale du travail, 1,7 million de Libanais vivraient sous le seuil de pauvreté, ce qui signifie qu’ils subsistent avec moins de quatre dollars par jour en poche. Les régions les plus affectées par cette concurrence sont les plus pauvres où s’est installée la majorité des réfugiés syriens: le Akkar, Tripoli, la Békaa et le Liban-Sud. Les jeunes seraient les plus vulnérables avec un taux de chômage de 36%. Par ailleurs, soulignons que ce taux de chômage ne correspond pas exactement au nombre de personnes sans emploi, car il ne prend pas en compte le phénomène d’émigration, qui a bondi au Liban ces quatre dernières années.
Comment a évolué l’émigration au Liban ces dernières années?
L’émigration est montée en puissance depuis le début de la guerre en Syrie. Le Liban a connu deux grandes vagues d’émigration dans l’histoire du pays. La première entre la fin des années 1800 et le début du siècle dernier. Cette vague de départs avait été provoquée par la Guerre mondiale et la grande famine qui a ravagé le pays. La seconde vague d’émigration s’est produite à la fin de la guerre civile libanaise et était provoquée par l’insécurité. Mais aujourd’hui, c’est la misère économique qui pousse des milliers de Libanais à s’exiler. C’est une tendance inédite dans l’histoire du Liban. Cette nouvelle vague d’émigration, qui touche aujourd’hui le pays, est une conséquence de la guerre en Syrie et de la précarisation des Libanais. Si avant la crise syrienne, le travail des Syriens au Liban était cantonné aux secteurs de la construction et de l’agriculture, aujourd’hui il englobe tous les domaines d’activité, ce qui met les travailleurs libanais en concurrence avec une main-d’œuvre pratiquement deux fois moins coûteuse. Les travailleurs syriens ouvrent des pharmacies, des commerces, des cafés, des chaînes de restaurants. Aujourd’hui, sur les 1,7 million de réfugiés syriens présents au Liban, 52% travaillent. Sur ce taux, seuls 5 000 ont demandé un permis de travail pour exercer, cela signifie que, pratiquement, 99% des Syriens au Liban travaillent au noir et de manière informelle.
Quelles mesures comptez-vous prendre pour encourager la création d’emplois?
Le problème est qu’au ministère, nous n’avons pas les moyens de créer de l’emploi et de canaliser ce flux d’entrants sur le marché du travail. Notre action est plutôt administrative. Notre rôle est ainsi d’octroyer ou non des permis de travail aux étrangers. Nous essayons dans la mesure du possible de favoriser l’emploi des Libanais en encourageant le patronat à les embaucher. Ainsi, grand nombre de professions sont interdites aux étrangers, tels les postes de P.D.G., directeur, chef du personnel, trésorier, secrétaire, ingénieur, pharmacien, laborantin, représentant commercial ou encore bijoutier, électricien… même si de nombreuses fraudes sont à déplorer. Nous sommes confrontés à un problème d’effectifs car avec une équipe de 111 personnes au ministère, dont seulement neuf inspecteurs, il est impossible de faire des miracles. Dans ces conditions, il est difficile de contrôler et de sanctionner les travailleurs étrangers qui exercent sans permis de travail. Je voudrais, par ailleurs, souligner que beaucoup de Libanais ne travaillent pas, car ils ne souhaitent pas le faire. J’ai, par exemple, reçu une Libanaise qui ouvrait un salon de beauté et souhaitait employer des esthéticiennes étrangères. Je lui ai demandé auparavant d’embaucher des Libanaises, mais aucune ne souhaitait faire ce travail, j’ai donc fini par lui donner l’autorisation de recruter des étrangères.
Propos recueillis par Soraya Hamdan