Du 7 au 17 février, le cinéma Métropolis projette le documentaire de Georges Salibi, Bonjour Beyrouth. Un cri d’alarme, parce que le patrimoine de la ville subit une destruction systématique…
«Sab7ik bil kheir sittna Beyrouth» (Bien le bonjour sitt Beyrouth): c’est par ces mots, par cette expression difficilement traduisible en français que débute le documentaire de Georges Salibi. Des mots prononcés par le personnage télévisé de Dwaik ya Dwaik, incarné par l’acteur Abdallah Homsi, alias Assaad de la fameuse clique d’Abou Salim. Habillé de son saroual, une corbeille en osier à la main, ce personnage symbolique fait tache dans le centre de la ville moderne, modernisé et vide, aux enseignes lumineuses. Il vient d’ailleurs Dwaik, d’une autre ère, d’un autre espace-temps, il n’y a pas si longtemps que ça, et qui, il y a quelques années encore, relevait de la culture, de l’identité libanaise et beyrouthine. Qui sommeille encore en nous. Mais qu’on n’a pas su préserver. Salibi met le doigt sur la plaie, là où Beyrouth saigne le plus, là où Beyrouth a le plus mal: dans la destruction de son patrimoine, des vieilles demeures traditionnelles porteuses de l’Histoire du pays.
Bonjour Beyrouth, ce documentaire que Salibi a travaillé patiemment, porté par son «passe-temps» comme il le dit, parle en effet des «anciennes maisons de Beyrouth, qui étaient au nombre de 1 800, précise le journaliste, quand, au milieu des années 90, le ministre de la Culture à l’époque, Michel Eddé, a effectué, en collaboration avec l’Apsad (Association pour la protection des sites et anciennes demeures au Liban), un recensement des maisons traditionnelles qui devaient être conservées. Aujourd’hui, il n’en reste plus que 280 seulement, en l’absence d’une loi qui protège ces demeures. Je comprends la nécessité de la modernité, ajoute Salibi en présentant son film à la presse mais, en même temps, toutes les villes magiques de par le monde ont préservé leur identité, leur héritage, leur patrimoine, leur singularité. Hélas, nous, nous n’avons pas su le faire». C’est cette problématique-là que pose le film.
De format classique, le documentaire se base essentiellement sur des entrevues; d’une part, avec des personnalités politiques, essentiellement les anciens ministres de la Culture, comme Michel Eddé, Gaby Layoun, Tarek Mitri… et l’actuel ministre Rony Araygi, ainsi que le président de la municipalité de Beyrouth, Bilal Hamad, et Walid Joumblatt, connu pour être un fervent défenseur du patrimoine; et d’autre part, des entrevues avec des personnes de la société civile qui portent et défendent cette cause, ainsi que les actuels habitants de certaines des plus célèbres maisons traditionnelles encore préservées.
A l’instar du Palais Sursock et de sa propriétaire Lady Cochrane, une entrevue pétillante de vie et de souvenirs, pour celle qui déclare se sentir comme un fantôme dans cette demeure au cœur de Beyrouth. Parmi les moments les plus poignants également, les entrevues effectuées avec les personnes impliquées dans la préservation de la maison Barakat, la Maison jaune en passe de devenir le Musée de Beyrouth, Beit Beirut. On remonte ainsi jusqu’à l’architecte Mona Hallak qui n’a cessé de militer pour empêcher la destruction de la Maison jaune, rappelant au souvenir la vie de ceux qui l’ont habitée, le Dr Nagib notamment, ce dentiste qui stockait chez lui brochures et billets de certains événements culturels auxquels il assistait, il y a plus de 50 ans, et qui constituent des témoignages de notre culture et de notre identité, sans oublier que cette maison, construite en 1924 par l’architecte libanais Youssef Aftimos, était le repaire idéal des francs-tireurs durant la guerre civile. Un pan entier de notre histoire qui a eu la chance d’être sauvé. Une chance que d’autres demeures, tellement nombreuses, n’ont pas eue, à cause d’une multitude de raisons, complexes et complexifiées, évoquées au fil du documentaire. Un tel imbroglio qui pousse les responsables politiques à s’accuser mutuellement, chacun essayant de mettre en avant les efforts qu’il a pu accomplir, mais en vain, face à cette situation dramatique.
«Beyrouth tu es toujours belle, mais tu es cruelle», lance encore Dwaik. Beyrouth se perd. Faut-il encore attendre? Il semble que c’est la seule possibilité. L’attente et l’espoir; que les propriétaires des anciennes maisons ne cèdent pas aux besoins financiers qui se font pressants; qu’ils ne suffoquent pas dans une maison traditionnelle dont l’horizon est bouché par les tours qui jaillissent de manière arbitraire en l’absence d’une loi en ce sens; qu’au moins les bâtisses, dont les propriétaires ont les moyens et les capacités de préserver, continuent à le faire et transmettent cette passion à la nouvelle génération, comme l’espère la gardienne du palais Bustros-Sehnaoui.
Bonjour Beyrouth sera projeté au cinéma Métropolis, du 7 au 17 février, dans l’espoir de sensibiliser encore plus à cette cause. Correspondant davantage au petit écran qu’au grand écran de par son format classique, il reste encore à espérer qu’il sera projeté à la télévision pour atteindre un plus grand nombre de spectateurs.
Nayla Rached