Dernier film d’Ethan et Joel Coen, Hail, Caesar! est à la fois une ode à l’âge d’or de Hollywood et une comédie acerbe, piquante et déjantée. Bienvenue dans l’univers des frères Coen.
Un moment de cinéma jouissif. C’est ce que promet le dernier film d’Ethan et Joel Coen. Un constat simple qui s’impose au-delà de toute éventuelle critique, et quelles que soient les critiques d’ailleurs, elles ne peuvent être que minimes, tellement le film arrive à transporter les spectateurs dans le voyage qu’il leur fait miroiter.
Cinéma dans le cinéma
Un voyage à travers le temps. Atterrissage au début des années 50. Une plongée au cœur des studios Capitol Pictures, nom déjà utilisé dans Barton Fink, les coulisses, les plateaux de tournage, les secrets, les réalisateurs, les scénaristes, les acteurs, les stars, les figurants et les journalistes, chroniqueuses de potins et autres rumeurs et scandales… L’âge d’or de Hollywood, dans toute sa splendeur, ses couleurs chatoyantes… et le revers du décor, dans un scénario à multiples tiroirs et divers niveaux de lecture.
Derrière tout ce monde, et pour préserver le splendide de l’industrie, il y a Eddie Mannix, interprété par Josh Brolin, le protagoniste du film autour duquel gravitent une multitude de personnages secondaires. Basé sur le personnage véridique d’Eddie Mannix, déjà joué à l’écran par Bob Hoskins dans Hollywoodland d’Allen Coulter (2007), il est un «fixer», engagé par les studios hollywoodiens pour régler les problèmes des stars, une version 50’s, plutôt légère, et évidemment décalée, de Ray Donovan, personnage éponyme de la série télévisée.
Homme à colmater les brèches, la réputation de certaines vedettes féminines, la disparition d’un acteur en plein tournage, la chroniqueuse de potins à faire taire, les remplacements de stars à effectuer… Mannix fait face à toute une série de problèmes, majeurs et mineurs, qu’il faut régler, loin du regard, pour garantir la grandeur de cette machine implacable qu’est Hollywood. A l’instar de cette scène étonnante où il se retrouve, dans une salle de conférences, entouré de représentants des différentes religions pour débattre de la validité du péplum en train d’être tourné, ce blockbuster sur la vie du Christ, intitulé Hail, Caesar! Le spectateur tient un bout de l’une des multiples ficelles développées dans le film.
Hail, Caesar! A tale of the Christ, Merrily we dance, No dames… tels sont les titres des films qui occupent les plateaux de tournage de Capitol Pictures; un péplum donc dans la lignée de Ben-Hur, Spartacus et autres grosses productions, un drame et une comédie musicale. Au fil de l’image, le spectateur oscille d’un plateau à un autre, d’une projection à une réunion, d’une situation absurde à une autre, encore plus délurée, d’un personnage à un autre.
Quand tout devient possible
Il y a tout d’abord la vedette de Hail, Caesar!, Baird Whitlock, campé par un hilarant George Clooney à la mimique peut-être un peu forcée mais cela sert le propos, kidnappé en plein tournage par un groupuscule qui se fait appeler The Future; il y a également le réalisateur britannique, Laurence Laurentz, alias un magistral Ralph Fiennes, obligé de composer, pour le rôle principal de son drame, avec l’acteur de films de cow-boy, Hobie Doyle (Alden Ehrenreich), dont le principal talent est de manier le lasso; puis nous retrouvons DeeAnna Moran dans une époustouflante scène de jeu aquatique avant que Scarlett Johansson ne dévoile son accent prononcé et les dessous de son rôle, ainsi que Burt Gurney, méconnaissable Channing Tatum qui se prête, en costume de marin, à une séquence de claquette pour les besoins de la comédie musicale No dames, une allusion plus qu’évidente à Gene Kelly, avant de s’illustrer dans l’une des scènes les plus hilarantes du film, entre une balade nocturne en canot et un vaisseau sous-marin!
Oui, avec les frères Coen, une surprise n’en est jamais vraiment une. Avec eux, tout est possible… Et ils sont parmi les rares cinéastes à pouvoir rassembler autant d’acteurs illustres sur une même affiche, qui comporte également, dans un rôle secondaire ou dans un caméo: Tilda Swinton, Frances McDormand, Jonah Hill, Christophe Lambert, Wayne Knight, Jeff Lewis…
Les événements se déroulent sur fond de Guerre froide et de «chasse aux sorcières» menée par Hollywood contre les communistes, rappelant l’intrigue de Trumbo, en comique de situation et absurdité des faits, évidemment. Mise en abîme, cinéma dans le cinéma, des histoires qui s’imbriquent, le scénario peut paraître éparpillé, laissant dans l’inconnu le sort de certains des personnages, un reproche que la critique n’a pas manqué d’adresser aux frères Coen. Mais on est bien à Hollywood, le monde des possibles et des fins heureuses! Que de clins d’œil à lire entre les lignes, renforcés par un émerveillement cinématographique, un humour noir, et ce secret inhérent à l’univers des frères Coen qui emporte, presque toujours, l’adhésion des spectateurs. Hail, Caesar! n’est peut-être pas un incontournable dans la riche filmographie des deux cinéastes, à l’instar de The big Lebowski, O Brother, where art thou? ou Fargo, chacun ses préférences, mais il vaut sûrement le détour, pour un moment de cinéma jouissif où tous les sens sont mis en branle.
Nayla Rached
Sortie prévue la semaine prochaine.