Annulation de la réunion des ministres chrétiens consacrée à l’examen de la présence chrétienne dans l’Administration publique qui devait se tenir à Bkerké. Le patriarche maronite, Béchara Raï, a préféré organiser des rencontres bilatérales afin d’éviter de conférer à ces consultations un caractère sectaire, si elles étaient mal perçues, et pour ne pas contribuer à perpétuer les divisions et alimenter le langage confessionnel dans le pays.
Les statistiques mettent en évidence la baisse étonnante du nombre de fonctionnaires chrétiens dans les postes de deuxième, troisième et quatrième catégories.
Les récentes permutations et nominations au ministère des Finances avaient suscité une confusion et donné lieu à des interrogations sur leur timing et leur objectif réel, sachant que la discrimination dont les chrétiens font l’objet ne se limite pas à ce ministère, mais touche toute l’administration. Les raisons justificatives du malaise chrétien sont nombreuses:
♦ Les fonctions de première catégorie étant réparties entre les communautés, les postes de deuxième catégorie sont devenus comme la chasse gardée de certaines confessions.
♦ Les fonctionnaires musulmans sont aujourd’hui largement majoritaires dans le secteur public (69% de musulmans contre 31% de chrétiens, selon un ministre). Cet état de fait est dû à la pratique du clientélisme et à l’emprise que certains exercent sur les institutions, ce qui entraîne un changement démographique au sein de l’Administration menaçant l’avenir de la coexistence.
♦ Le transfert à des musulmans de certaines fonctions importantes initialement détenues par des chrétiens qui, eux, se voient confier des postes de moindre importance.
♦ Le manque de planification du côté des partis chrétiens, ainsi que l’indécision de la commission parlementaire maronite, chargée par Bkerké du suivi du recrutement dans le secteur public.
Des sources de Bkerké ne cachent pas leurs craintes de voir l’Administration rapidement vidée de ses chrétiens si la situation n’est pas rétablie d’urgence.
La marginalisation des diverses communautés chrétiennes serait une conséquence de leur longue mise à l’écart, de la loi électorale discriminatoire dont les résultats sont peu conformes à la représentativité réelle des chrétiens, et du conflit entre sunnites et chiites.
La responsabilité de cette injustice incombe aux chrétiens eux-mêmes, qui sont peu attirés par la fonction publique, mais aussi aux leaders des autres communautés qui recourent à des nominations peu équilibrées. Cette conjoncture, contraire à la convivialité et à l’union nationale, n’est plus acceptable pour l’une des composantes principales de l’entité libanaise. Alors de deux solutions l’une: soit tout le monde met ses œufs dans le panier de l’Etat dans le cadre d’un régime laïque équitable et rassembleur, soit on opte pour un régime décentralisé garantissant le droit à la sécurité, au développement, à la justice et à l’égalité à chaque individu ou groupe loin de toute usurpation ou fanatisme.
Le déséquilibre au sein de l’appareil étatique ne représente qu’une des faces de la crise qui touche les chrétiens, il n’est ni la seule ni la plus essentielle. Nombreux sont les problèmes qui tourmentent les maronites, cela va de la marginalisation au sein de l’Etat et de ses organismes, à la représentation parlementaire et ministérielle inéquitable, la faiblesse de leur participation à la prise de décision, à l’hémorragie «démographique et géographique» due à l’exode rural et à l’émigration des jeunes et des familles, pour atteindre l’angoisse existentielle qui les taraude à la lumière de l’élimination systématique dont ils font l’objet dans la région avec l’extension de l’extrémisme et du terrorisme. Sans oublier les conséquences sur le Liban des guerres et des révolutions arabes, et la hantise de l’implantation des Palestiniens à laquelle est venue s’ajouter celle des Syriens.
Chaouki Achkouti
Le vide pernicieux
Il ne manquait plus aux chrétiens que la vacance prolongée à la première fonction qui leur revient au sein de l’Etat pour accroître ce sentiment d’angoisse qui les tracasse. Des questions se posent: pourquoi le vide n’atteint que la première présidence et jamais les deux autres? Pourquoi sunnites et chiites ont le droit d’interférer dans la présidence de la République, alors que les maronites ne jouissent pas de ce droit quand il s’agit de la présidence du Conseil ou de la Chambre? Les maronites sont, certes, responsables de l’état dans lequel se trouve la première magistrature mais, en fait, ils sont plongés dans une conjoncture régionale complexe qui les dépasse et qui a placé le Liban sur l’échiquier du jeu des nations. C’est pourquoi l’accord Geagea-Aoun, abstraction faite de ses circonstances, n’a pas suffi à baliser la route vers le palais de Baabda quoiqu’il représente un développement positif pour les chrétiens au milieu du marasme ambiant…