Créant la surprise, l’ancien Premier ministre, Saad Hariri, est rentré de son exil volontaire pour prononcer un discours mobilisateur devant des milliers de partisans enthousiastes, rassemblés au Biel à l’occasion du 11e anniversaire de l’assassinat de Rafic Hariri. Le leader du Courant du futur a concentré ses attaques sur le Hezbollah, l’accusant de défendre «un projet sectaire dépassant les frontières nationales», assurant que ses armes ne l’aideront pas à faire du Liban «un gouvernorat iranien». Hariri a réaffirmé son ferme appui à la candidature de Sleiman Frangié à la présidence, égratignant, au passage, son allié supposé, Samir Geagea.
La rencontre du Biel ne s’est pas déroulée comme prévu. Si les partisans de Saad Hariri étaient satisfaits de le voir parmi eux en ce jour symbolique, ceux des Forces libanaises sont sortis de la salle offensés par son attitude envers leur leader.
L’affront à Geagea
Certes, l’ancien Premier ministre est rentré de Riyad et Samir Geagea est descendu de Maarab pour la 11e commémoration de l’assassinat de Rafic Hariri. Pourtant, le rapprochement entre les deux hommes, tant attendu par les partisans du 14 mars, n’aura pas eu lieu. Le chef du Futur a tenu un discours qui a suscité de vives polémiques chez ses alliés et ses détracteurs. Cerise sur le gâteau: Saad Hariri a infligé un affront direct à Samir Geagea, suscitant un tollé général chez les partisans des Forces libanaises (FL), notamment sur les réseaux sociaux, à tel point que le Courant du futur a été obligé de publier une mise au point. Le communiqué précise que le chef des FL «est et restera digne de respect et le compagnon d’un long parcours national. Les mots prononcés au Biel n’ont pas voulu faire assumer aux FL la responsabilité du retard de la réconciliation interchrétienne, mais exprimer les souhaits de Hariri de voir cette réconciliation avoir lieu bien avant ce jour».
Jusqu’à la dernière minute, il n’était pas sûr que le fils de Rafic Hariri se poserait à Beyrouth pour se rendre au Biel, où le Courant du futur organisait son événement annuel, pour commémorer l’assassinat de l’ancien Premier ministre. Quelques heures avant le début de la cérémonie, les médias l’annoncent: Saad Hariri sera là, parmi ses partisans et ceux du 14 mars.
D’une part, son absence prolongée érode sa popularité sur le terrain. D’autre part, après son initiative visant à soutenir la candidature de Sleiman Frangié à la présidence, un froid s’était installé entre lui et son principal allié, le chef des Forces libanaises. Il se devait donc d’être présent à Beyrouth. Samir Geagea, dont les proches avaient annoncé qu’il ne se rendrait pas au Biel, a dû alors changer d’avis et il décidera, finalement, de faire le déplacement, arborant fièrement une cravate bleue aux couleurs du Futur. Les partisans des deux camps sont enthousiastes. Le froid qui s’est installé entre les deux hommes s’estompera en ce jour rassembleur…
Saad Hariri n’est pas de cet avis. En deux tours et deux mouvements, revenant sur la réconciliation interchrétienne qui a eu lieu à Maarab, le voilà qui assène à son allié médusé: «Notre initiative présidentielle a conduit nos alliés, les Forces libanaises, à une réconciliation historique, 28 ans après, avec le Courant patriotique libre. Nous avons été les premiers à appeler à cette réconciliation et avons été ceux qui l’ont le mieux accueillie». Et de poursuivre avec sarcasme: «Mais nous aurions souhaité qu’elle se produise bien avant, ya Hakim, cela aurait beaucoup épargné aux chrétiens et au Liban». Le Hakim, assis au premier rang sous l’objectif envahissant de la caméra, n’a d’autre choix que de rire… jaune. Et ce n’est pas tout. Appelant les figures du 14 mars à monter sur scène pour une photo commémorative, l’ancien Premier ministre entoure Amine et Samy Gemayel d’une attention particulière, et fait preuve d’indifférence à l’égard du chef des FL. Les partisans de Samir Geagea réagissent presque immédiatement sur les réseaux sociaux, dénonçant avec virulence l’affront infligé à leur leader.
Haro sur l’Iran
Dans son discours, Hariri a déclaré que «l’ère de la tutelle syrienne n’a pas été en mesure de fabriquer des leaders plus grands que le Liban. L’ère de l’intimidation iranienne ne sera pas en mesure, non plus, de créer des leaders plus grands que le Liban. Aucune forme de terrorisme ne sera capable de vaincre l’unité du Liban. Aucun assassinat ne brisera nos rêves de voir le Liban se relever. Certains n’aiment pas cette phrase, parce que le Premier ministre martyr l’avait dite. Quant à nous, nous nous réunissons chaque année, le 14 février, pour déclarer bien fort: nous allons marcher sur vos traces Abou Bahaa, et même si les ennemis détestent cela. Nul n’est plus grand que son pays».
Réitérant son soutien à l’Arabie saoudite, Saad Hariri ajoute: «Nous sommes des Arabes et le disons à haute voix. Nous ne permettrons à personne de pousser le Liban vers l’hostilité envers l’Arabie saoudite et les frères arabes. Le Liban ne sera, en aucune circonstance, un gouvernorat iranien».
Expliquant son appui à la candidature de Sleiman Frangié, l’ancien Premier ministre affirme: «Le ministre Frangié a rapporté avec précision ce qui a été discuté en ma résidence: l’objectif (de cette candidature) est de mettre fin à la vacance présidentielle, de stopper la détérioration, d’œuvrer à l’amélioration de la situation politique, économique et sociale, de renforcer la sécurité du Liban, et de protéger le système et la paix civile. Où est l’erreur? Pourquoi êtes-vous surpris? Quel est mon rôle? Quel est l’héritage de Rafic Hariri sinon de maintenir l’ordre et la paix et d’améliorer la vie des gens?». Et d’ajouter: «Nous avons le courage de prendre position et déclarons que nous ne craignons l’arrivée d’aucun partenaire dans le pays à la tête de l’Etat, tant qu’il respecte l’accord de Taëf, la Constitution et la loi, la sauvegarde de la coexistence et donne priorité à l’intérêt national et l’intégrité du Liban sur tous les projets régionaux».
A l’actif de Saad Hariri, un ton sûr, une aisance dans le discours, des pointes humoristiques. C’est ainsi que s’adressant indirectement au Hezbollah, il déclare sur un ton ironique: «Nous sommes un projet transcommunautaire et national, surtout quand les autres sont un projet sectaire dépassant les frontières nationales».
Danièle Gergès
Accolades et embrassades…
Faisant fi de la mise en garde du ministre de la Santé, Waël Abou Faour, d’éviter les embrassades, Saad Hariri a distribué accolades et bises à tous les responsables politiques assis au premier rang. Même le ministre de la Justice, Achraf Rifi, y passe, alors qu’un différend oppose les deux hommes.
Réactivation du 14 mars
«C’est l’occasion, assène Saad Hariri, d’appeler les forces du 14 mars, à commencer par le Courant du futur, à procéder à une remise en question interne, sur laquelle le secrétariat général pourrait travailler, et qui porterait sur tous les aspects de la relation entre les forces de l’Intifada de l’Indépendance, afin de protéger cette expérience exceptionnelle dans l’histoire du Liban».