Après avoir grimpé en flèche entre 2008 et 2011, le marché immobilier aurait-il fini par se tasser, plombé par cinq ans de crise politico-sécuritaire au Liban et dans la région? Les prix auraient-ils enfin fini par diminuer? Si oui, pour combien de temps? Enquête.
Serait-il le moment idéal pour acheter à Beyrouth? Si le ralentissement du marché de l’immobilier s’est bien confirmé en 2015 et s’est même accéléré, peut-on pour autant parler d’un effondrement des prix? Pour Guillaume Boudisseau, spécialiste immobilier à Ramco, «si les prix sont quasiment à la baisse partout, il ne faut pas pour autant s’alarmer et parler de crise immobilière. Il s’agit plutôt d’un réajustement naturel du marché. Les prix avaient tellement augmenté de 2005 à 2009 qu’aujourd’hui, dans le contexte politico-économique et sécuritaire actuel, nous assistons simplement à un rééquilibrage des biens avec la demande».
Marché en stagnation
En effet, selon le dernier rapport de The Global Property Guide sur le marché immobilier au Liban, en 2009, les prix moyens à la vente avaient augmenté de 48,4% sur l’année, tandis qu’ils avaient même doublé dans certaines régions de Beyrouth entre 2008 et 2012. Le ralentissement aurait commencé en 2014 avec une baisse des prix moyens de 1,61%, toujours selon les mêmes sources. «Ce n’est pas une catastrophe que les prix soient en chute, ajoute Boudisseau. Il s’agit plutôt d’un rééquilibrage naturel du marché entre l’offre et la demande».
Pour les professionnels, il est ainsi encore beaucoup trop tôt pour parler de crise du marché immobilier. Selon Farès Massaad, président du syndicat des professionnels, «le marché est simplement en stagnation, nuance-t-il. Nous n’avons pas encore assisté à un véritable effondrement». Selon lui, les raisons de ce ralentissement s’expliquent par la situation régionale et les multiples crises sur le plan local.
Le marché immobilier n’a en effet pas été épargné par la crise syrienne, comme l’explique Georges Chehwan, président du groupe Plus Properties. «On considère, aujourd’hui, que c’est un marché dormant. Il n’y a pas de crise au vrai sens du terme, mais une stabilité au niveau de la demande». «La crise syrienne, combinée à un excès de l’offre, a entraîné un surplus d’appartements à vendre au Liban», poursuit le professionnel.
Les promoteurs immobiliers essaient aujourd’hui d’écouler leurs stocks à travers plusieurs mesures, comme la réduction des prix des biens ou une marge de négociation plus importante lors des transactions, des facilités de paiement via des prêts accordés par les banques et de nouveaux projets plus petits et construits en périphérie de la capitale libanaise».
Serait-ce ainsi le moment d’acheter? Pour Guillaume Boudisseau, aujourd’hui, le client est définitivement roi. «Les prix ont baissé beaucoup plus que l’année précédente, explique-t-il. Si les prix affichés n’ont baissé que de 5 à 15%, les marges de négociations possibles se sont encore creusées cette année avec des rabais pouvant atteindre les 20%».
«Ainsi, un bien affiché à 3 000 dollars le mètre carré l’an passé a été proposé à 2 800 dollars le mètre carré, et négocié à 2 500 dollars le mètre carré».
De belles affaires
Selon une étude de Ramco, le prix d’achat moyen d’un appartement en construction à Beyrouth s’établissait à 3 720 dollars le mètre carré au second trimestre de 2015. Ainsi, le prix moyen d’un appartement de 238 mètres carrés s’établissait à 885 360 dollars.
Cela dit, il faudrait relativiser ces baisses de prix selon le professionnel. «Nous ne sommes pas encore en crise. Pour cela, il faudrait que les prix chutent de plus de 30% et ce n’est pas encore le cas».
Il est possible de réaliser de belles affaires par les temps qui courent et même de négocier des biens neufs à moins de 300 000 dollars, notamment dans les quartiers périphériques de la ville comme Geitaoui, Badaoui, Adlié.
Le ralentissement du marché de l’immobilier s’est en réalité amorcé dès 2011 avec le début des événements en Syrie. Aujourd’hui, c’est le statu quo; la situation pourrait bien se poursuivre en 2016, si aucune amélioration politique ou sécuritaire ne se produit sur le plan interne, comme par exemple l’élection d’un nouveau président de la République et la formation d’un gouvernement.
«Si la situation interne continuait à se dégrader, on pourrait bien assister à une poursuite de la baisse des prix de l’immobilier, ajoute Guillaume Boudisseau. Au meilleur des cas, si élections il y a, on pourra s’attendre à un arrêt de la chute des prix de l’immobilier, mais je suis plus dubitatif quant à l’argument d’une reprise du marché en cas de formation d’un nouveau gouvernement. Une bonne nouvelle politique pourrait au mieux stopper la chute des prix, de là à faire repartir le marché, la question reste en suspens».
Pour le président du syndicat des professionnels, Farès Massaad, l’élément politique est le seul à influencer le marché immobilier libanais. «Si des solutions au conflit syrien sont envisageables et un accord entre les grandes puissances se concrétise, à ce moment-là nous serons témoins d’un marché immobilier en plein essor et prospérité pour 2016. Cela s’applique de même à tous les secteurs de notre marché économique».
Peu de nouveaux projets
De son côté, Georges Chehwan souligne que d’autres éléments peuvent influencer le marché immobilier libanais comme le contexte économique international: «Il ne faut pas oublier que ce sont les expatriés qui ont l’habitude de faire bouger le marché à travers leurs transactions. Ces dernières peuvent être affectées actuellement par la crise des prix du pétrole et la crise en Afrique».
La conséquence de cette surabondance de l’offre sur le marché est le ralentissement des nouveaux projets. «Les promoteurs veulent écouler le stock existant et je ne pense pas qu’ils lanceront de nouveaux projets pour le moment, ajoute Chehwan. Cela dit, n’oublions pas que le nombre d’expatriés est de 14 millions, il y a toujours des expatriés qui veulent acheter au Liban pour leurs enfants et non pas pour investir, donc il y aura toujours une demande».
Soraya Hamdan
Acheter à Beyrouth
Peut-on toujours acheter à moins de 300 000 dollars à Beyrouth?
Pour Georges Chehwan, la réponse est «oui». «On peut acheter à Beyrouth à 300 000 dollars, mais dans des quartiers populaires, et de petites surfaces. A Achrafié, il est possible de trouver des biens dans les quartiers de Badaoui, Geitaoui, Karm el-Zeitoun, mais aussi à Tarik el-Jdidé, Zarif… Si on achète, par exemple, un appartement de 100 m2, il est possible de trouver un bien à 200 000 ou 220 000 dollars.
Les prix à Beyrouth varient par ailleurs d’une région à l’autre, d’un quartier à l’autre et, même dans des ruelles adjacentes, on peut distinguer différends prix au mètre carré. Par exemple, à Achrafié, on peut trouver des prix de départ à partir de 2 400 dollars le mètre carré, comme à partir de 5 500 dollars. Au centre-ville, il est possible de trouver à partir de 6 000 dollars, comme à partir de 10 000 dollars. A Ras Beyrouth (Hamra, Clemenceau, Aïn el-Mreissé, Raouché, Manara, Ramlet el-Bayda, Koraytem, Verdun, Jnah, Mazraa, Bliss, etc.) à partir de 2 000 dollars, comme à partir de 6 000 dollars. Côté Badaro/Sami el-Solh, à partir de 2 500 dollars, comme à partir de 3 200 dollars en 2015.
Transactions en baisse de 13%
Le nombre des transactions immobilières a chuté de 13,3% en glissement annuel pour s’établir à 15 774 unités au second trimestre de 2015. La valeur des biens échangés a, elle, baissé de 19,2% à 1,96 milliard de dollars sur la même période, selon le registre foncier.
A noter que de manière surprenante, les investissements étrangers ont augmenté, en dépit du contexte politico-sécuritaire ambiant, de 31,6% au second trimestre de 2015 représentant 363 unités, toujours selon le registre foncier.
En 2014, les acheteurs étrangers représentaient 1,69% du total des transactions immobilières effectuées au Liban, en baisse par rapport aux 2,04% et 2,53% qu’ils représentaient en 2009 et 2010.