C’est dans le cadre de Zoukak Sidewalks que le public libanais a eu l’occasion d’assister à Chroniques d’une révolution orpheline, un travail en cours franco-libanais, mis en scène par Leyla-Claire Rabih. Quand les outils de théâtre deviennent moyens de réflexion…
Ce n’est ni un spectacle, ni une performance, c’est un travail en cours, un projet en cours, comme tient à le préciser d’emblée Leyla-Claire Rabih. Un projet en cours appelé à se terminer d’ici un an. Entre-temps, ce qui a été présenté les 19 et 20 février, à Mansion, est le fruit d’une résidence de travail de trois semaines dans les locaux de cette ancienne demeure beyrouthine transformée en maison d’artistes.
Il est toujours passionnant d’assister à un travail en cours, surtout quand il s’agit de théâtre, d’une scène, lieu de vie et de fantasme, à meubler de mots, de gestes, de déplacements, de silence et d’émotions. Surtout quand le projet s’attache à se pencher sur une situation toujours en cours, à quelques pas de nos frontières, brisant les frontières, comme un ultime rappel qu’avant toute cette destruction humaine, il y avait un cri de liberté, une révolution en germe, enclenchée par des volontés déterminées et muée en guerre.
Une révolution avortée? Une révolution orpheline plutôt, dont il faut remonter jusqu’aux origines, jusqu’à la source. Une révolution toujours en marche, même au ralenti, même en guerre, et qu’on est tous appelé, d’une certaine manière, à chroniquer, comme un devoir de mémoire, comme un devoir d’Histoire qui s’écrit simultanément en un florilège d’histoires.
C’est ce que propose Leyla-Claire Rabih. Depuis 2014, elle travaille sur un projet de théâtre autour de trois textes de Mohammad el-Attar: Online, Tu peux regarder la caméra? et Youssef est passé ici. Chaque histoire raconte un moment particulier de la révolution syrienne; les premières démonstrations et la peur d’être arrêté durant le printemps 2011, la volonté de s’engager à travers un travail documentaire à la fin de 2011 et la recherche d’un ami disparu au cœur d’une terre dévastée et une guerre civile en 2013. Tous les personnages se battent, avec les bouleversements historiques, mais aussi avec leur propre espoir, peur et désespoir.
Présentées en trois séquences relatives aux trois textes précités, ces Chroniques d’une révolution orpheline mettent en branle sensations, sens et sentiments. Plus qu’une simple composition théâtrale autour d’une situation politique complexe, elles sont un acte théâtral qui, tout en interrogeant le monde et ses urgences, s’interroge sur ses modalités: ses différentes formes d’écriture, ses schémas narratifs, les médiums exploitables, l’image, le son, la vidéo, le moyen de raconter les histoires d’une Histoire continue… autant d’outils de réflexion pour tenter de penser, d’appréhender, de comprendre les bouleversements historiques et le moyen artistique de les approcher.
Comment mettre en scène, en émotion et en vécu un simple échange de mails entre Damas et Paris, durant quelques jours du mois d’avril 2011? Charif et Salma communiquent sans se parler à travers la Toile, par voix interposées, à l’image de la voix qui traduit simultanément leurs mots de l’arabe vers le français. Des mots à la fois tendres et crus qui sentent l’effluve des mandarines, l’angoisse de l’exil, l’impuissance, la frustration, la peur, la honte et l’amour. A mesure que les minutes s’écoulent, la tension monte d’un cran jusqu’à la séquence suivante où de jeunes révolutionnaires fixent la caméra pour raconter leur détention, chacun à sa manière, face aux spectateurs, face à celle qui se fait un devoir d’archiver ces témoignages, alors que son histoire personnelle et familiale aurait dû la mener dans une autre voie. La caméra comme son reflet inversé, nous renvoyant aussi à nous-mêmes, spectateurs dans la même position. Qui sommes-nous dans cette révolution, dans cette guerre?
Rassemblés dans une dernière scène autour d’une table de débat, comédiens et metteur en scène sont confrontés à une situation où ne leur restent que des outils de travail artistiques, pour espérer effectuer un périple en Syrie, un «road movie» à la recherche d’un ami disparu, d’une révolution orpheline dont le seul point d’approche, encore accessible, est la frontière. De là peuvent s’élancer le voyage, l’exploration, la recherche. Loin de l’excuse étroite d’un travail expérimental, un projet en cours ne se place pas dans une situation de critique, mais de réflexion. C’est exactement ce que proposent ces Chroniques d’une révolution orpheline.
Nayla Rached
Travail d’équipe
Textes: Mohammad el-Attar.
Traduction: Jumana el-Yasiri et Leyla-Claire Rabih.
Mise en scène: Leyla-Claire Rabih.
Scénographie: Jean-Christophe Lanquetin.
Assistant à la mise en scène: Philippe Journo.
Collaboration artistique: Catherine Boskowitz.
Comédiens: Soleïma Arabi, Wissam Arbache, Racha Baroud, Grégoire Tachnakian et Elie Youssef.
Production: Grenier Neuf 2016-2017.
Coproduction: Théâtre Dijon Bourgogne.
Avec le soutien de l’Institut français et de la Région Bourgogne et de l’Institut français du Liban.