Les Iraniens sont appelés à voter pour une double élection ce vendredi 26 février, celle de l’Assemblée des experts et les législatives. Des scrutins dont le résultat sera examiné à la loupe. Car en filigrane, se jouent l’avenir du régime et la succession du guide, l’ayatollah Ali Khamenei.
Depuis le 18 février, les affiches électorales fleurissent sur les murs de Téhéran. Les envahissent même. Ce vendredi, les Iraniens sont appelés à se prononcer dans les urnes pour deux scrutins majeurs, qui pourraient être lourds de sens, quant à l’avenir de la République islamique née en 1979. Et cette fois, le résultat des deux élections s’avère crucial. D’abord, parce qu’il s’agira d’un test majeur pour le président Hassan Rohani, auréolé de son succès dans le dossier du nucléaire iranien suivi de la levée des sanctions internationales, ainsi que de la poursuite de sa politique d’ouverture et de réforme.
Au total, 6 229 candidats, dont 586 femmes, sont en lice pour un siège au Parlement iranien. Du côté des réformateurs, on fait campagne pour élire un majlis qui puisse appuyer le président Hassan Rohani dans ses réformes politiques et sociales. Quant aux conservateurs, ils ont axé leur campagne sur la mauvaise situation économique et la nécessité d’améliorer la vie des populations les plus défavorisées. Ils prônent aussi l’élection d’un Parlement hostile à la politique américaine, et ce, malgré l’obtention d’un accord sur le nucléaire.
Banni des médias depuis son soutien au mouvement de contestation qui avait suivi la réélection de Mahmoud Ahmadinejad en 2009, l’ex-président Mohammad Khatami a toutefois délivré un message vidéo fort via son site Internet. «Après le premier pas et le succès de la présidentielle de 2013, la coalition entame le second pas pour les législatives», a-t-il affirmé. «Avec la coalition, qu’il faut saluer, entre les réformateurs et les autres forces qui soutiennent le gouvernement, deux listes, une pour le Parlement et une autre pour l’Assemblée des experts, ont été présentées. Je propose de les appeler ‘listes de l’espoir’». Un leitmotiv également véhiculé par l’ex-président, Ali Akbar Hashemi Rafsandjani, qui a appelé à «barrer la route aux extrémistes».
Ecarter les extrémistes
Le Parlement, comme l’Assemblée des experts, dont les membres seront aussi élus ce vendredi, sont tous deux dominés par le front conservateur. Et les deux ex-présidents, Khatami et Rafsandjani, candidats pour l’Assemblée des experts, souhaitent que cela change et que soient écartées de cette institution les personnalités les plus conservatrices, dont son président, l’ayatollah Mohammad Yazdi.
Pour éviter une déconfiture électorale des conservateurs, le régime a, en amont, opéré une sélection drastique des candidats autorisés à se présenter.
Ainsi, sur les 801 candidats qui espéraient se présenter à l’élection de l’Assemblée des experts, 80% des candidatures ont été retoquées par le Conseil des gardiens, une entité religieuse formée de douze membres qui supervise les élections et la législation. Seules 166 candidatures ont finalement été validées, portant un coup au camp des réformateurs et au président Hassan Rohani. Parmi les candidats modérés recalés figure même Hassan Khomeiny, petit-fils du fondateur de la République islamique et premier membre de la famille à briguer un mandat électif. Sa candidature a été écartée pour insuffisance de références religieuses, et ce, en dépit de témoignages d’une dizaine de personnalités religieuses de haut rang. Malgré cette éviction, Hassan Khomeiny a appelé les électeurs à se rendre massivement dans les urnes, leur demandant de «choisir les plus compétents».
Le même scénario, pour les législatives cette fois, s’était produit mi-janvier, avec la disqualification de 7 000 des 12 000 candidats au scrutin, dont la quasi-totalité des réformateurs et de nombreux membres du camp modéré. Toutefois, début février, de nouvelles candidatures aux législatives, dont la majorité appartenait au camp modéré et réformateur, ont finalement été validées par le Conseil des gardiens, après une révision de la liste des candidats demandée par Hassan Rohani.
Malgré cette petite victoire engrangée par celui que les Occidentaux surnomment volontiers le cheikh diplomate, les élections de vendredi s’annoncent difficiles à remporter. Car les conservateurs tiennent, coûte que coûte, à maintenir le contrôle qu’ils exercent, tant au Parlement qu’à l’Assemblée des experts.
L’Assemblée des experts
En filigrane de cette double élection, transparaît aussi un autre enjeu, celui de la succession de Ali Khamenei, qui occupe cette fonction depuis 1989. En cas de décès du Guide de la République – que l’on sait malade d’un cancer – c’est l’Assemblée des experts qui sera chargée de désigner son successeur et d’assurer la continuité du gouvernement islamique dans le pays. D’où l’importance politique considérable que revêt son renouvellement cette fois.
Comme l’explique le journaliste Nasser Etamadi, sur RFI, cette élection «intervient à un moment où la question de la succession du guide devient l’objet des débats publics au sein de l’establishment et où la question du statut et de la place du guide (vali-e faghi) dans l’avenir du système politique iranien oppose les deux factions du régime islamique: l’une, traditionaliste, qui continue à défendre, au nom de la suprématie de la charia, le pouvoir incontestable du religieux, tandis que l’autre, plus pragmatique, cherche à endiguer ce pouvoir en proposant, entre autres, qu’un conseil de religieux remplace le pouvoir exclusif d’un seul après Khamenei». Cette dernière option a été proposée par le très charismatique Ali Akbar Hashemi Rafsandjani, qui dirige le Conseil du discernement. Ardavan Amir-Aslani, spécialiste de l’Iran et auteur du livre Iran, le sens de l’histoire (éd. Du Moment), indique à Magazine qu’«il n’est pas certain que les différents protagonistes puissent se mettre d’accord sur le choix d’un remplaçant puissant. Il est donc probable que la fonction, en cas de vacance, ira soit à une personnalité neutre et malléable soit à une commission collective. L’idée circule». «C’est une possibilité sérieuse. Les uns et les autres pourront toujours dire qu’il n’y a personne qui peut avantageusement remplacer le guide et qu’il vaut mieux attribuer ces pouvoirs à une structure collégiale. Si cela devait arriver, cela signifierait la fin de la République islamique dans sa forme actuelle, fondée sur le règne du Jurisconsulte. Une autre page s’ouvrirait alors», analyse-t-il.
Khamenei malade mais puissant
Malade mais pas non plus à l’article de la mort, Ali Khamenei entend bien garder la main, dans l’immédiat en tout cas, sur le devenir du régime. Au lendemain de l’accord nucléaire, rendu possible selon ses propos, par sa «flexibilité héroïque», il a mis en garde, à plusieurs reprises, contre «l’infiltration» des Etats-Unis dans les instances décisives de la République islamique. Une infiltration qui pourrait compromettre la survie du régime. Car, selon Khamenei, «l’ultime objectif (de l’Administration américaine) reste de changer le régime en Iran». Cette position explique d’ailleurs pourquoi le Conseil des gardiens a retoqué tant de candidatures modérées et réformatrices pour ces élections. Le message du guide est passé: aucun opposant ni réformateur, ni modéré ne doit entrer au Parlement comme à l’Assemblée des experts. Ce qui explique aussi le désintérêt des jeunes pour ces élections, déçus par les promesses non tenues. «Incontestablement, dans la foulée de l’accord nucléaire, le camp des réformateurs a le vent en poupe. Le peuple iranien n’aspire qu’à une seule chose: le retour de leur pays dans le concert des nations. Ils espèrent que cette ouverture annoncée par Hassan Rohani se traduira par une amélioration de leurs sorts au quotidien», souligne ainsi Amir Ardavan-Aslani. «Le régime sait qu’il faudra proposer autre chose que le chômage et des restrictions au niveau des libertés publiques à ce peuple qui a soif de changement», avance le spécialiste. «Si les élections étaient totalement libres, les réformateurs l’emporteraient. Or, nombre de candidats réformateurs ont été écartés. Malgré cela, il sera difficile pour le pouvoir d’expliquer qu’à l’issue des élections, les réformateurs sont dans le camp des vaincus». C’est d’ailleurs, sans doute pour cela, que des candidatures de personnalités du camp modéré ou réformateur ont finalement été avalisées début février. Pour autant, l’issue des urnes ne donne pas vraiment lieu au doute. Les conservateurs devraient conserver la main sur le Parlement, comme sur l’Assemblée des experts. «Ce que craint le pouvoir, c’est qu’une victoire écrasante des réformateurs tant aux élections législatives qu’à celle de l’Assemblée des experts inverse l’équilibre des pouvoirs puisqu’en pareil cas, tant le pouvoir présidentiel que législatif se trouveraient entre les mains des réformateurs». «Il n’y aura donc pas de victoire écrasante», pronostique Ardavan Amir-Aslani. «Il y aura au mieux une victoire à une ou deux voix permettant au pouvoir et surtout au camp des conservateurs de maintenir un équilibre acrobatique».
Jenny Saleh
L’opération Nitro Zeus
Selon un documentaire américain diffusé au Festival international du film de Berlin, les Etats-Unis auraient très sérieusement envisagé d’entreprendre une cyberattaque d’ampleur contre Téhéran, en cas d’échec dans le dossier du nucléaire iranien.
Selon Zero days, d’Alex Gibney, en 2014, alors que les négociations patinent, une cellule du Pentagone, US Cybercom, monte l’opération Nitro Zeus, qui ambitionne d’infiltrer les réseaux informatiques iraniens et de prendre le contrôle de plusieurs infrastructures industrielles d’importance vitale, grâce à des virus malveillants. Ce «malware» d’une «dangerosité inégalée», selon des sources de la NSA, s’en serait ensuite pris au centre de recherche nucléaire souterrain de Fordo. Avec une mission: détruire ses serveurs de manière définitive.
Le projet de cyberattaque a finalement été abandonné, un accord nucléaire ayant été signé en juillet 2015. Mais aussi, parce que Nitro Zeus aurait pu avoir des conséquences incontrôlables, difficilement quantifiables. Cette nouvelle information, à laquelle Téhéran n’a pas encore réagi, alimente, en tout cas, les craintes iraniennes d’une infiltration américaine pour faire tomber le régime.