Sur la scène du théâtre Montaigne, pour la soirée inaugurale du mois de la Francophonie, l’actrice française Clotilde Courau a présenté la lecture musicale O nuit ô mes yeux, sur un texte de Lamia Ziadé, accompagnée de Ziad Ahmadieh au oud. Rencontre avec Clotilde de Savoie, princesse de Venise et de Piémont.
Parlez-nous davantage de cette lecture musicale.
Dès mon arrivée, Ziad et moi avons été directement dans le travail puisque nous avons très peu de temps pour répéter. Un moment magnifique, une belle rencontre. C’est une création à Beyrouth pour le mois de la Francophonie. Avec Eric Lebas, nous avons échangé sur différents auteurs. Je voulais que ce soit le oud, l’instrument qui incarne le Liban, et dans le cadre du thème Musicalement vôtre, il me semblait juste que je sois l’incarnation de la voix, du timbre avec toute ma culture française, mais qu’elle soit mélangée avec le oud et le texte d’un auteur libanais. Quand j’ai lu O nuit ô mes yeux de Lamia Ziadé, ça m’a semblé tout aussi juste, car il s’agit de grandes figures féminines du Moyen-Orient: Asmahan, Oum Kalthoum, Feyrouz…
Le sujet de la femme est donc primordial pour vous?
Je suis admirative des femmes en général, de ce qu’elles ont le courage d’affronter, qu’elles soient combattantes, résistantes intellectuelles, poètes, mères. Aujourd’hui, il est très important, au Moyen-Orient, et en France aussi, de continuer de défendre la femme, ces figures de femmes, comme Oum Kalthoum, qui a commencé habillée en garçon et qui a été la chanteuse qu’on sait, face à des foules délirantes d’hommes qui voulaient la dévorer. Mais elle a su tenir et s’imposer.
Et dans votre métier, être femme pose-t-il des obstacles, des difficultés?
Je suis quelqu’un qui pense qu’il faut toujours regarder le verre plein et non vide. Je crois vraiment que les choses sont écrites, que mon destin était de vivre sur cette terre en tant que femme. Aujourd’hui, je suis femme et j’estime qu’il est important de défendre cette chose-là, pour mes propres enfants d’abord. Effectivement, il y a toujours des difficultés, mais ce qui est formidable, Nietzsche d’ailleurs le dit, c’est que c’est grâce aux difficultés qu’on se dépasse. Donc, finalement, est-ce que ce sont des difficultés ou des épreuves qui vous permettent d’être ce que vous êtes?
La lecture musicale, qu’est-ce que ça apporte?
Ce qui est incroyable dans la lecture musicale, c’est le mélange de l’instrument vocal et de l’instrument musical. Et chaque auteur a sa propre musique. La beauté réside dans l’éphémère de l’acte; ce n’est pas un spectacle construit, répété, ou très peu en tout cas. Ce n’est pas non plus de l’improvisation, car on ne peut pas se le permettre. Mais ça reste quand même très fragile. Ces lectures sont sur un fil,qui s’approche du fil de la vie. Il y a quelque chose aussi de l’ordre de la magie avec le public, l’écoute, la manière dont l’audience reçoit le texte. Une dynamique à trois.
Est-ce que vous êtes familière avec le son du oud?
Bizarrement, je pense que j’y suis habituée. Est-ce parce que quand mon père était à Alexandrie, je l’ai rejoint, petite fille, je devais avoir 10 ans, pour y passer un été… Est-ce à ce moment-là…? Je ne sais pas, mais le oud est venu dans ma vie passée.
Avez-vous des attentes particulières du public libanais?
Non, il ne faut jamais être dans l’attente, dans la vie en général. Il faut vivre aujourd’hui, maintenant c’est maintenant, hier c’était hier. C’est vraiment une philosophie qui est mienne et qui est importante. Le fait de venir ici aujourd’hui et de me dire que je veux prendre part au mois de la Francophonie car, effectivement, nos pays sont liés, encore plus aujourd’hui, que cette francophonie qui existe représente des valeurs humanistes, qu’il faut les défendre, les raviver, les entretenir. J’ai effectivement des amitiés avec le Liban au travers de Gabriel Yared, d’Elie Saab, de Nadine Labaki, et de pouvoir tout simplement dire: voilà, je vous ai rencontrés dans mon pays, je suis tellement heureuse et fière de venir dans le vôtre. C’est un grand bonheur. Particulièrement, en ce moment, avec tout ce que nous vivons, nous devons être ensemble, encore plus ensemble, unis et solidaires.
Cela verse dans la francophonie, au-delà de son sens le plus restreint à la langue?
Cela s’inscrit au-delà de la langue. Nous avons tous cette impression d’être tellement habités par les ténèbres que les médias mettent, sans arrêt, en avant, comme si on voulait nous écraser, nous pauvres petits humains, parce ce que nous sommes dépassés par ce qui est en train de se passer. Mais nous continuons à être des mères, des adolescentes, des adolescents… Alors parlons aussi du miracle qui peut exister, de la rencontre qui peut exister, au-delà de la langue, juste de l’ordre de l’humain. Si on en revient effectivement à cette grande idée, que la francophonie défend, des valeurs humanistes; liberté, égalité, fraternité, moi qui travaille avec Abdennour Bidar, un philosophe théologien qui a écrit Lettre ouverte au monde musulman, peut-être alors faut-il travailler davantage la notion de fraternité. Alors oui, ça dépasse le mot. En même temps, j’ai envie de dire le mot est important, non?
La francophonie donc comme échange…
On a besoin de cet échange pour se rappeler qu’on est tous logés à la même enseigne: qu’on nous reporte sans cesse le négatif qu’on finit par être dans le négatif et on en vient à totalement oublier les richesses fondamentales et la force de nos cultures, tout ce qui fait que nous sommes ce que nous sommes. Certes, il y a des choses négatives, mais parlons des choses positives, de cette petite lumière. S’il y a des gens qui ne cèdent pas, qui continueront toujours à en parler, on aura beau essayer de l’étouffer, de l’éteindre, demain cette petite lumière sera grande. Ça mettrait dix ans, ça passerait deux générations, mais il faut qu’il y ait des gens qui continuent dans cette voie.
Vous êtes pleine d’espoir. En rapport avec votre métier?
Je n’ai pas envie d’être pleine de désespoir. J’ai trop de larmes. La culture est le seul espace où il peut avoir encore de la résistance, que ce soit au Moyen-Orient ou sur notre territoire français, même si les institutions qui défendent la culture sont en danger, car il y a de moins en moins de financements. La culture est encore un endroit où on peut parler en toute liberté, où on peut, en tout cas, essayer de participer à des échanges et des valeurs humanistes. Il y a également tout ce qui est de l’ordre du bénévolat, ces associations, des inconnus qui tendent la main aux autres, qui participent de leur quotidien, une vraie résistance de l’homme à l’homme.
Vous êtes là également pour présenter L’ombre des femmes de Philippe Garrel dans lequel vous jouez…
Avec ce film en noir et blanc, d’une heure environ, Philippe Garrel a voulu raconter comment la libido, le désir féminin, égale celui de l’homme, ce que ça provoque chez l’homme et comment la femme réagit. C’est une histoire d’amour très forte, l’histoire d’une héroïne qui continue à croire en la force de l’amour. Symboliquement, il s’agit de l’histoire des petits mensonges quotidiens comme des grands mensonges de l’histoire, et comment ces mensonges, ces étapes, ces épreuves font de nous des hommes, ou pas. Il y a plusieurs lectures à ce film. Il s’intitule L’ombre des femmes, mais ça parle aussi de résistance. C’est un film avec tout l’univers de Garrel, poétique, onirique qui raconte l’histoire d’hommes et de femmes dans le quotidien.
Comment s’est passée la collaboration avec Garrel?
J’avais envie de travailler avec Philippe Garrel. De le faire, j’ai réalisé à quel point il est un grand réalisateur français. Rencontrer Garrel, c’est tout d’un coup revenir à l’essence même de ce qu’est le cinéma, c’est-à-dire une aventure humaine. A un moment donné, c’est comme si on mettait une pause sur une industrie et qu’on revenait, encore une fois, à ce qu’est l’échange. Avant de commencer le tournage, on discute, on s’observe, on apprend à se connaître tellement bien qu’une seule prise suffit, qu’on a tellement bien assimilé l’essence de la vision du metteur en scène qu’on laisse le temps au temps et à l’œuvre d’exister fondamentalement. J’aime travailler de cette manière, que ce soit dans l’urgence et l’improvisation, comme maintenant, ou que ce soit avec le temps au temps, comme avec Garrel. Mais toujours en mettant en avant l’échange, la richesse de l’échange et l’aventure humaine, puisque c’est ce qui nous définit nous, artistes. De quoi parle-t-on? De nos drames, nos solitudes, nos peines, nos joies, de l’humain, notre matière est l’humain, que ce soit pour l’auteur, le réalisateur, l’interprète. Toute cette matière vient de ce que nous sommes dans nos paradoxes, nos ambivalences, nos interrogations, nos peines. C’est l’humain et sa magie.
Etre artiste c’est donc un condensé de l’humain.
L’artiste est quelqu’un qui est dans l’ambivalence la plus totale de notre humanité. Il a en lui la passion, le positif, le noir, l’exigence, le doute de la passion, mais la lumière aussi. C’est fondamentalement l’humain. Qu’est-ce qu’on raconte d’autre que la difficulté à être et la grande tragédie de la vie!
Propos recueillis par Nayla Rached