Magazine Le Mensuel

Nº 3043 du vendredi 4 mars 2016

Monde Arabe

La Russie évoque une Syrie fédérale. La trêve, fragile, tient bon

Contre toute attente, le cessez-le-feu entré en vigueur vendredi 26 février à minuit semble globalement respecté, dans la plupart des régions concernées. Tandis que les Syriens respirent, les discussions intersyriennes sont appelées à reprendre le 7 mars à Genève. Entre-temps, la Russie a évoqué, pour la première fois, l’option d’une Syrie fédérale.
 

Alors que le conflit syrien entrera dans sa sixième année ces prochains jours, la vie a repris ses droits depuis la mise en place d’un cessez-le-feu fragile, entré en vigueur le 26 février à minuit. A Damas, ce week-end, les rues étaient animées durant la journée, les Syriens goûtant le calme de nuits paisibles qu’ils n’avaient plus connues depuis trop longtemps. A Alep, encore la semaine dernière sous le feu des bombardements, les écoliers et autres habitants ont repris possession des rues de la ville. Selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), le calme régnait, ces derniers jours, dans les provinces centrales de Homs, Hama, Damas et Alep.
Le cessez-le-feu, initié par la Russie et les Etats-Unis, est le premier du genre en cinq ans d’une guerre qui a déjà fait 270 000 morts et des millions de déplacés et réfugiés. Acceptée tant par le gouvernement syrien que par une partie des groupes d’opposition, ainsi que par les Kurdes, cette trêve ne concerne toutefois pas les groupes jihadistes comme l’Etat islamique et le Front al-Nosra, qui contrôlent, à eux deux, plus de 50% du territoire syrien. Quelques incidents ont cependant eu lieu, dénoncés comme des violations du cessez-le-feu par l’opposition. Au premier jour de la trêve, samedi, une dizaine d’obus en provenance de Douma, tenue par les rebelles, et Jobar, fief du Front al-Nosra, ont touché le quartier des Abbassides à Damas, contrôlé par le gouvernement. Plus grave, dimanche, des avions ont bombardé, à l’aube, six localités de la province d’Alep et une de la région de Hama, faisant craindre une rupture du cessez-le-feu. L’occasion pour Riad Hijab, le coordinateur général du Haut comité des négociations, de faire état, dans une lettre adressée au secrétaire général de l’Onu, de 24 violations, tandis que l’Arabie saoudite accusait «l’aviation russe et celle du régime syrien» d’avoir violé la trêve. Une trêve qui reste très fragile.
L’OSDH a également rapporté des combats aux mitrailleuses lourdes à l’intérieur d’Alep, entre les forces kurdes, d’un côté, et des groupes islamistes, de l’autre, avec des chutes d’obus tirés par les rebelles sur Cheikh Maksoud, le fief kurde d’Alep.
Lundi, ce sont les rebelles qui ont tiré des roquettes sur la partie pro-régime de la ville d’Alep, tandis que des avions russes bombardaient une localité du sud de Hama. Malgré ces incidents qualifiés «d’isolés», Ban Ki-Moon a estimé, lundi, que la trêve tient «globalement».
Le général Sergueï Kuralenko, responsable du centre russe de coordination du cessez-le-feu, à Lattaquié, a fait état de neuf violations samedi 27 février, au premier jour de la trêve.
Dans les zones non concernées par le cessez-le-feu, en revanche, les combats se sont poursuivis. Lundi, une dizaine de frappes ont touché une partie de la ville de Deir Ezzor, contrôlée par Daech. L’artillerie turque est entrée en scène, tirant, non pas sur les Kurdes de l’YPG, mais sur des positions de l’Etat islamique dans le nord d’Alep.
Autre fait notable sur le plan militaire, la reprise par l’armée loyaliste de l’axe stratégique de Khanasser, à 50 km d’Alep, aux jihadistes de Daech. Une victoire stratégique pour le régime, cet axe étant essentiel pour le ravitaillement des troupes.
L’accalmie sur le terrain a permis à l’Onu de faire transiter des convois d’aide humanitaire et de nourriture dans les localités assiégées. Mouadamiat el-Cham, une ville rebelle située au sud-ouest de Damas, a bénéficié de cette assistance.
Pour l’heure, il demeure difficile de savoir si cette trêve fragile va perdurer. Américains comme Russes font preuve d’un optimisme prudent, conscients des nombreux obstacles qui minent le processus. Des obstacles qui restent nombreux, sur le plan diplomatique notamment.

 

La piste du fédéralisme
Alors que l’émissaire spécial de l’Onu pour la Syrie, Staffan de Mistura, compte relancer les discussions intersyriennes le 7 mars, à Genève, les déclarations émanant de diverses parties laissent dubitatif quant aux chances de succès des négociations. Dimanche, le ministre saoudien des Affaires étrangères, Adel el-Jubeir, a déclaré qu’il y aurait «un plan B» – sans doute militaire – si le régime syrien et ses alliés ne respectent pas la trêve. Une déclaration qui a suscité la colère de Damas et de Moscou. Un haut responsable du ministère syrien des Affaires étrangères a estimé que cette déclaration «constitue une tentative visant à mettre en échec les opérations liées à la cessation de combat».
L’option d’un plan B a également été balayée par Sergueï Lavrov, le chef de la diplomatie russe, avec ces propos sans appel: «Il n’y en a pas et il n’y en aura pas. Personne ne l’envisage». Rappelons que c’est John Kerry qui avait émis cette éventualité la semaine dernière, en cas d’échec du cessez-le-feu.

Dans le même temps, Moscou est repassé à l’offensive sur le devenir de la Syrie, en proposant la piste du fédéralisme, comme issue politique à la guerre. «Si, des pourparlers, des consultations et des discussions sur les structures étatiques futures de la Syrie résulte l’avis que ce modèle fonctionnerait pour servir la préservation d’une Syrie unie, laïque, indépendante et souveraine, qui s’y opposerait?», a lancé le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Riabkov. La Russie, a poursuivi Riabkov, ne s’opposera à aucune autre solution «à condition qu’elle ne soit pas dictée par une tierce partie à des milliers de kilomètres de la Syrie». L’option du fédéralisme avait été évoquée en septembre par Bachar el-Assad lui-même dans une interview.

Jenny Saleh
 

 

Les pertes du Hezbollah
Le commandant des unités spéciales du Hezbollah, Ali Fayad, alias Alaa de Bosnie, est le plus haut gradé du Hezbollah à mourir en Syrie. Son corps ainsi que ceux de trois autres combattants de la Résistance ont été rapatriés, lundi, au Liban, après une opération spéciale à Tal-Hmam, en Syrie. Le gradé a été tué au cours des combats contre les jihadistes de Daech sur l’axe Athrayya-Khanasser, menant à Alep.
Ali Fayad était aux commandes au cours des combats dans la région du Qalamoun, près de la frontière syro-libanaise et de Mahin, dans la province de Homs, en 2012 et 2013. Il était aussi connu pour avoir planifié et mené une partie du siège imposé aux rebelles de la Ghouta est, près de Damas. Fayad aurait aussi joué un rôle clé dans la reprise de la ville stratégique de Chebaa, sur la route de l’Aéroport international de Damas. Ses tactiques militaires auraient joué un rôle important pour stopper l’avancée des rebelles sur la côte syrienne.
Ali Fayad doit son surnom de Alaa de Bosnie à son engagement en Bosnie-Herzégovine en 1993, quand le Hezbollah s’était engagé à défendre les musulmans bosniaques contre les Serbes.

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