Alors que le Liban mise plus que jamais sur son potentiel technologique pour booster la croissance du pays, comment identifier les start-up qui pourraient bien changer le futur? Quelles sont les nouvelles tendances sur la scène digitale? Quels obstacles faut-il encore surmonter pour devenir ce hub numérique tant revendiqué? Pour en savoir plus, Magazine a rencontré trois investisseurs en marge du forum Arabnet.
Si le passage d’une économie de services à une économie digitale et de la connaissance pourrait bien constituer un remède à la crise dans un contexte où les moteurs traditionnels de la croissance, comme le tourisme et le commerce, subissent les affres de l’instabilité, reste à savoir comment relever les obstacles libanais et identifier les opportunités de demain.
Pour Henri Asseily, directeur associé du fonds d’investissement Leap Ventures, il existe, en réalité, très peu d’obstacles au développement de la scène tech libanaise. «S’il est certain que la stabilité politique, des infrastructures adaptées et un cadre légal adéquat amélioreraient significativement notre travail, aujourd’hui, rien ne nous empêche de nous développer et nous le faisons même avec succès».
Malgré tous ces obstacles, le directeur du fonds d’investissement dit être actuellement en train de négocier deux deals. «Si nous les menons à bien, nous aurons investi la moitié de nos fonds en moins de neuf mois, ce qui ne nous laissera plus beaucoup d’argent pour investir dans d’autres sociétés prometteuses. Alors ce dont nous avons besoin c’est davantage de fonds et ce, du secteur privé cette fois».
Pour le professionnel, les 400 millions de dollars investis par la Banque du Liban (BDL) dans le secteur pour stimuler les start-up à travers sa circulaire 331 ne seraient pas suffisants pour contenir le potentiel libanais. «Il existe beaucoup de nouvelles opportunités, poursuit l’investisseur. Nous assistons, par exemple, au développement de la Cleantech, soit des technologies vertes dans un pays où nous connaissons les problématiques des pays émergents. Le développement de la Fintech est également à prévoir, d’autant plus que le Liban est un pays où les banques jouent un rôle majeur dans l’économie et nous sommes pourtant toujours en retard à ce niveau-là. Nous n’avons par exemple toujours pas la signature électronique. Enfin, l’intelligence artificielle et le Big data sont également des tendances qui devraient se développer», ajoute Asseily.
Le Business 2 Business
Walid Hanna, directeur du fonds d’investissement MEVP, souligne, de son côté, que les nouvelles tendances digitales au Liban ne peuvent pas échapper aux grandes tendances globales. «A ce niveau-là, je miserai sur le développement des places de marchés online», souligne-t-il.
La seconde tendance digitale identifiée par le spécialiste est celle du «business to business» (B2B), soit les solutions pour les entreprises. «La start-up libanaise Fadel Partners pour laquelle nous avons levé 3 millions de dollars, a, par exemple, créé un software permettant aux entreprises de gérer leurs droits de propriétés intellectuelles, explique Walid Hanna. Parmi leurs clients, citons des géants tels que Disney».
Enfin, le professionnel souligne une dernière tendance à venir plus spécifique à la région: la production de contenu en arabe. «Il existe de formidables opportunités en la matière, car nous manquons de contenu dans cette langue que ce soit du texte, de l’information, des animations ou même de la musique».
Tout droit venu de San Fransicso, Marvin Liao, sérial investisseur et associé au fonds Micro Venture Capital Fund, avance, quant à lui, la tendance au e-commerce, qui pourrait bien, selon lui, constituer une opportunité pour les entrepreneurs de la région, ainsi que le développement de l’économie de partage, très tendance. «Cela dit, au Liban, vous avez besoin de techniciens et non pas d’hommes d’affaires alors que, dans le reste du monde, c’est habituellement la tendance inverse qu’on peut observer».
C’est également ce que souligne Henri Asseily. «Ce qui est important, c’est de réussir à récupérer nos talents qui s’exportent, insiste-t-il. Il faut ainsi que les start-up libanaises alignent les salaires qu’elles proposent aux ingénieurs libanais sur la grille des salaires internationaux. Car le seul atout d’une start-up est sa matière grise, il faut donc tout faire pour garder nos talents et ne pas lésiner sur les moyens».
Quant à savoir comment le professionnel sélectionne une start-up dans laquelle il souhaite investir, Henri Asseily répond: «Nous investissons à un stade avancé de la start-up, ce que l’on nomme la série B. Une fois le produit développé et apprécié du marché, nous investissons quelque 10 millions de dollars pour le faire passer à une étape supérieure et aider les entreprises à se développer à l’international. Nous choisissons ainsi des start-up dont les fondateurs sont assez matures pour accepter de déléguer et faire grandir très rapidement la boîte, la faisant passer, par exemple, d’une vingtaine d’employés à une soixantaine, voire 80 personnes en un an».
Sur le moyen terme, le professionnel dit s’attendre à quelques exits de start-up libanaises qui pourraient bien conforter le secteur privé libanais de miser lui aussi sur le digital.
Soraya Hamdan
Smart Esa, nouveau booster
A l’occasion de l’inauguration d’Arabnet, l’Ecole supérieure des affaires (Esa) a annoncé le lancement de Smart Esa en coopération avec l’ambassade de France au Liban, le ministère français des Affaires étrangères et la Banque du Liban (BDL). «Smart Esa combine les propriétés d’un accélérateur de start-up et celles d’un incubateur, explique Stéphane Attali, directeur de l’établissement, tout en se basant sur l’expertise française dans ce domaine et en apportant aux entreprises concernées un accès privilégié aux marchés français et européen». L’initiative permettra ainsi aux start-up de bénéficier d’un programme de mentoring et proposera à celles qui ont déjà des fonds une formation de neuf mois dans les locaux de l’établissement.
Les politiques et le digital
Au cours de la cérémonie d’ouverture du forum, le ministre de l’Economie, Alain Hakim, a souligné que «le secteur du digital a représenté, en 2014, 7 000 nouveaux emplois et 300 nouvelles créations d’entreprises. Il s’agit du seul secteur de l’économie libanaise à avoir connu une hausse, ces dernières années». A moyen terme, le ministre s’attend à une augmentation d’au moins 200% du secteur digital. De son côté, le ministre des Télécoms, Boutros Harb, a annoncé qu’à l’horizon du mois de septembre 2016, l’ensemble du territoire devrait être couvert par la 4G. «Le secteur des Télécoms pourrait bien stimuler l’ensemble de la croissance libanaise, a-t-il insisté, rappelant que le rôle du gouvernement libanais était de soutenir ce secteur en apportant les infrastructures nécessaires».