Les résultats du Super Tuesday ont confirmé les tendances des primaires républicaines et démocrates. L’élection du successeur de Barack Obama à la Maison-Blanche devrait, sauf surprise, se jouer entre Donald Trump et Hillary Clinton. Magazine a passé en revue les positions des deux candidats sur le Moyen-Orient.
Panique outre-Atlantique. Alors que tous les pronostics échafaudés au début des primaires américaines pour la course à la Maison-Blanche le donnaient perdant, il semble bien que Donald Trump remporte l’investiture du Parti républicain. Il devrait affronter, sans trop de surprise cette fois, la démocrate Hillary Clinton, ex-Première dame des Etats-Unis durant les deux mandats de Bill Clinton et ex-secrétaire d’Etat de Barack Obama.
Deux candidats que tout oppose. En plus d’être le pire cauchemar des coiffeurs du monde entier, Donald Trump symbolise surtout, pour les Américains, le rejet des élites traditionnelles, quand Hillary Clinton représente l’incarnation même de l’establishment de Washington.
Cela peut paraître difficile à saisir en dehors des Etats-Unis, mais Trump est synonyme de succès, malgré ses nombreuses faillites. Depuis des décennies, il est présent sur les écrans de télévision de tous les foyers américains représentant, en quelque sorte, l’aboutissement du rêve américain. Hillary Clinton, elle, est une routière de la politique, qui a connu presque tous les postes, tantôt Première dame, sénatrice, candidate à la primaire démocrate contre Barack Obama en 2008, avant de devenir sa secrétaire d’Etat. Contrairement à Donald Trump qui, malgré une participation aux primaires républicaines en 2012, reste un novice en politique, Hillary Clinton dispose d’un bilan à présenter. Notamment en politique étrangère.
Et ce bilan pourrait ne pas forcément jouer en sa faveur. Rappelons qu’en 2002, la sénatrice Clinton avait voté en faveur de l’invasion américaine de l’Irak de 2003, décrétée par l’Administration de George Bush Jr. Une invasion que de plus en plus d’analystes et de politiciens tiennent pour responsable du chaos actuel au Moyen-Orient. Avant d’effectuer un rétropédalage en règle, une fois avéré que le postulat sur lequel se fondait la guerre en Irak – à savoir la présence d’armes de destruction massive (ADM) – était faux. Clinton s’était alors rétractée, soulignant qu’elle avait «appris à être bien plus sceptique à propos de ce que les présidents (lui) racontent».
Clinton interventionniste
Puis en tant que secrétaire d’Etat de Barack Obama de 2009 à 2013, Hillary Clinton a été l’une des architectes de la politique étrangère du président américain. Elle dit défendre le «pouvoir de l’intelligence», en combinant habilement les outils diplomatiques, militaires, économiques, juridiques et culturels pour chaque situation. En 2011, elle soutient les frappes aériennes contre le président libyen Mouammar Kadhafi. En 2012, elle apporte son soutien au président égyptien déchu issu des Ikhwan, Mohammad Morsi. Elle parle également volontiers de sa bonne relation avec le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu.
A son actif également, le fameux «reset» des relations russo-américaines. Ce qui ne l’a pas empêchée, en 2014, de comparer Vladimir Poutine à Adolf Hitler, dans une déclaration qui avait beaucoup choqué en Russie. «Si vous avez l’impression d’avoir déjà vu ce qui se passe en Ukraine, c’est parce que c’est ce qu’a fait Hitler dans les années 30», avait-elle lancé lors d’une collecte de fonds. Durant sa campagne, elle a juré de ne pas céder le terrain aux adversaires de l’Amérique comme Vladimir Poutine. Elle compte aussi faire aboutir un traité de désarmement pour détruire «ces missiles russes qui menacent les villes américaines».
Avec ce bilan en bandoulière, quelle serait sa politique étrangère, notamment en ce qui concerne le Moyen-Orient, si Clinton venait à être élue? Dans un article de James Reinl, paru sur le site d’informations Middleeasteye.net, Joshua Landis, expert du Moyen-Orient, estime que Clinton «n’a tiré aucun enseignement de l’Irak». Selon lui, ses tendances interventionnistes et sa préférence pour les archaïques autocrates arabes en Arabie saoudite et ailleurs en feraient un commandant en chef de statu quo. «Même si elle dit l’avoir regretté, elle s’est volatilisée et a fait les mêmes erreurs de calcul une deuxième fois», explique Landis à MEE. Une allusion à la guerre en Libye qui colle d’ailleurs à la candidate, tout comme l’affaire des e-mails envoyés depuis son adresse personnelle. Une enquête du Washington Times, parue en 2015, révélait en effet que l’intervention de l’Otan en Libye n’était pas à but «humanitaire», comme elle l’avait défendu à l’époque, qualifiant l’affaire libyenne de «moment ADM» de Clinton.
Au sujet de l’Iran, Clinton estime que la normalisation avec Téhéran doit être considérée monnaie d’échange. «Je ne crois pas que nous devrions promettre ou même aspirer à la normalisation des relations, parce que nous avons beaucoup d’autres choses à faire avec l’Iran», a-t-elle souligné lors d’un débat avec Bernie Sanders, son concurrent pour l’investiture. Parmi les questions à régler, selon elle, l’arrêt des livraisons de missiles à Gaza et la fin du soutien que l’Iran apporte au Hezbollah. «Nous n’avons rencontré personne sans conditions préalables. C’est l’approche qu’il faut si vous voulez obtenir les résultats que vous recherchez». Si Clinton a soutenu l’accord sur le nucléaire avec l’Iran, elle se dit toutefois prête à rétablir des sanctions unilatérales en cas de non-respect des termes de cet accord. Voire même à prendre des mesures militaires, le cas échéant.
Trump admire Poutine
Par ailleurs, si, comme tout président des Etats-Unis qui se respecte, elle est plutôt pro-israélienne (quoique pas assez, selon certains lobbies), Hillary Clinton a toujours été favorable aux Frères musulmans et est connue, depuis plus de trente ans, pour ses positions islamophiles de principe. Elle rejoint en cela Barack Obama qui avait tenté de remodeler les relations entre les Etats-Unis et le monde musulman, avec son discours du Caire.
Les relations de Clinton avec Israël, et avec Bibi Netanyahu qu’elle dit «connaître depuis longtemps», devraient être plus apaisées que celles de Barack Obama. Les Palestiniens ne pourront pas attendre de grande nouveauté ni de soutien particulier. Rappelons qu’en juillet 2014, quand des bombardements israéliens avaient frappé une école de l’Onu dans un camp de réfugiés de Gaza, Clinton avait en quelque sorte défendu l’agression israélienne, estimant qu’à cause du «brouillard de la guerre», il était difficile de déterminer la responsabilité d’Israël.
En face d’une Hillary Clinton aguerrie en matière de diplomatie, Donald Trump, le milliardaire, qui, s’il connaît le monde du business par cœur, bénéficie de moins d’expérience en la matière. Michael Gerson, du Washington Post, n’hésite d’ailleurs pas à écrire que si Trump séduit autant la base de l’électorat conservateur, c’est à cause de son «effroyable ignorance de la politique». Cela en fait-il un mauvais candidat pour autant?
On sait déjà qu’il s’est entouré du général Michael T. Flynn, l’ancien directeur de la Defense Intelligence Agency (DIA), en matière de politique internationale. Celui-ci se veut un fervent avocat d’un réchauffement des relations américano-russes.
En matière de politique étrangère, le grand slogan affiché par Donald Trump se résume ainsi: «Rendre sa grandeur à l’Amérique!». Un slogan qui peut paraître vendeur et simpliste, mais qui semble pourtant séduire. Au cours de sa campagne, le milliardaire n’a pas hésité à dénoncer «le sur-engagement» des Etats-Unis dans le monde, se montrant critique à l’égard de certains alliés, comme le Japon et la Corée du Sud.
Là où Hillary Clinton n’hésite pas à tacler Vladimir Poutine, Donald Trump, lui, a exprimé son respect à l’égard du président russe. Selon lui, le chef du Kremlin est un «homme très respecté». Une amabilité que Poutine n’a pas hésité à lui retourner. Pour le milliardaire, qui déclarait qu’il «s’entendrait vachement bien avec Poutine», il serait en tout cas plus efficace pour les Etats-Unis de devenir l’allié de la Russie, que de s’y confronter. «Ne serait-il pas bien si nous collaborions avec la Russie et avec les autres pays, au lieu de dépenser des millions et des millions de dollars? Ne serait-il pas bien si nous pouvions être sur le même pied avec tout le monde, et peut-être la Russie nous aiderait-elle à lutter contre Daech, ainsi que dans plusieurs autres domaines?», a déclaré le candidat Trump.
Concernant l’Etat islamique, Trump a cumulé les déclarations tonitruantes et plutôt grossières. «I would bomb the shit out of Isis», a-t-il déclaré, au sujet de Daech.
Selon l’ancienne figure du Tea Party Sarah Palin, qui le soutient, le magnat de l’immobilier serait celui qui va «botter le c… de Daech». Trump, lui, n’hésite pas à traiter les jihadistes de «losers», «dégénérés de faible niveau» ou, encore, de «thugs» (voyous, ndlr). Il s’est engagé à frapper l’Etat islamique, uniquement en Irak, notamment en ciblant les sites pétroliers dont l’organisation jihadiste a pris le contrôle, afin de couper ses revenus financiers. En revanche, il n’envisage pas d’intervenir en Syrie où il estime que Bachar el-Assad et Vladimir Poutine gèrent bien la situation. D’ailleurs, il avoue préférer la compagnie de dictateurs, arguant qu’il est «possible de faire affaire avec ces gens». Une vision plutôt pragmatique donc des relations américaines avec le reste du monde.
Trump aime à se décrire comme un leader fort qui interdirait à ses généraux de s’exprimer à la télévision, parlerait avec fermeté à l’Arabie saoudite, dont il estime qu’elle doit tout aux Etats-Unis.
Ses positions sur le dossier israélo-palestinien restent assez floues. S’il assure être «neutre» au sujet de la paix entre les deux ennemis de toujours, il se revendique toutefois très «pro-Israël», tout en assurant qu’il s’agit «probablement de l’accord le plus difficile de tous à conclure». Il a d’ailleurs apporté son soutien à l’Etat hébreu à de nombreuses reprises. Dans le même temps, ses propos polémiques sur les musulmans – qu’il voulait bannir du territoire américain – l’avaient contraint à annuler un voyage à Tel-Aviv où il devait rencontrer Benyamin Netanyahu. A noter également, même si ce n’est qu’anecdotique, que sa fille Ivanka, mariée avec un Juif orthodoxe, s’est convertie au judaïsme. Toutefois, au contraire de la plupart de ses rivaux pour l’investiture, Trump avait refusé de déclarer que Jérusalem était la capitale indivisible d’Israël, devant un parterre de Républicains pro-Israël, en décembre 2015. Hué par le public, il s’était voulu rassurant: «Rendez-moi un service, détendez-vous simplement. Vous m’aimerez beaucoup, croyez-moi». Interrogé en décembre 2015, par l’Associated Press, sur la possibilité d’un accord entre Israël et les Palestiniens, Trump a souligné: «A mon avis, si Israël veut un accord, je pense qu’un accord peut être conclu».
Outre ses positions radicales sur les musulmans, Donald Trump a aussi effectué quelques sorties tonitruantes au sujet de l’usage de la torture. Après s’être déclaré pour le maintien de la prison de Guantanamo, que Barack Obama a promis de fermer, le candidat à l’investiture républicaine s’est prononcé pour le rétablissement de la torture lors des interrogatoires et notamment du «waterboarding». Avant d’effectuer un rétropédalage devant la levée de boucliers suscitée par ses déclarations.
Enfin, concernant l’accord sur le nucléaire iranien, que Trump avait qualifié d’accord «du désespoir», il s’est distingué de ses rivaux républicains. Pour lui, il n’est pas question de «déchirer» l’accord s’il devient président, mais plutôt de le «polir», afin de s’assurer que l’Iran ne viole pas les termes de celui-ci. Fin février, il a souligné, dans un entretien avec Fox News, qu’il s’agissait de «la pire chose qui soit jamais arrivée à Israël», ou encore, «ce qu’Obama a fait à Israël est une honte».
Jenny Saleh
Fronde républicaine contre Trump
«Donald Trump est un imposteur, un escroc, un charlatan». Ces mots très durs viennent, non pas du camp démocrate, mais bel et bien des Républicains. Plus particulièrement de Mitt Romney, candidat malheureux face à Barack Obama en 2012. «Donald Trump nous dit qu’il est très, très intelligent. Je crains qu’en matière de politique étrangère, il ne soit très, très pas intelligent», a lâché l’homme d’affaires dans un discours prononcé à Salt Lake City, dans l’Utah, début mars. Ce discours de Romney est symptomatique de la crise actuelle des Républicains. John McCain a également émis des réserves au sujet d’une candidature Trump, appelant les Américains à «réfléchir longuement à la personne qu’ils souhaitent avoir comme commandant en chef et leader du monde libre». La fronde prend une telle ampleur que des Républicains pure souche se sont même dits prêts à voter pour Hillary Clinton. Ce Trump-bashing tardif aurait pour origine l’incapacité du parti à contrôler le candidat, que certains qualifient d’Opni, objet politique non identifié.