Depuis le 25 février, les planches du théâtre Gemmayzé accueillent la pièce Liaisons dangereuses, adaptée, mise en scène et produite par Joe Kodeih.
On s’est tellement habitués à Joe Kodeih comme un «one man show» qu’on en est venu à oublier presque qu’il est, avant tout, un metteur en scène, un homme de théâtre, ce «concentré de vie», comme il le décrit, cet espace-lieu où «la vie devient meilleure, où elle prend forme comme notre fantasme le souhaite». A la question de savoir si ce théâtre-là lui a manqué, sa réponse fuse aussitôt: «Oui, sûrement, mais je n’ai pas lâché prise entre-temps», travaillant, rappelle-t-il, sur la pièce Rima et sur la mise en scène de Michel et Samir, même si ces deux spectacles s’inscrivent toujours dans le registre de la comédie.
En décidant d’adapter les Liaisons dangereuses, il a fait face à cette même réaction: pourquoi changer une formule gagnante, celle du «one man show», qui était une rémunération à tous les niveaux? Mais Joe Kodeih est retourné à son amour premier, le théâtre, et une pièce en particulier, la première qu’il a jouée de sa vie, en 1993: une adaptation estudiantine des Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos dans laquelle il a interprété le rôle de Valmont. C’est donc tout simplement là que réside le pourquoi du comment de l’actuelle adaptation.
Un casting solide
Joe Kodeih passe ainsi à un autre registre, une pièce dramatique, même si elle contient des «étincelles de comédie», et même… des pas de danse dans une chorégraphie signée Mazen Kiwan. Merteuil, Valmont, Tourvel, Volanges, Danceny, interprétés respectivement par Bernadette Houdeib, Joe Kodeih, Solange Trak, Patricia Smayra et Bruno Tabbal effectuent cinq danses sur la scène du théâtre Gemmayzé, les personnages mythiques de l’un des plus célèbres romans épistolaires, devenus des symboles, et qui se présentent là dans une adaptation à la fois libanisée et fidèle à l’esprit littéraire du texte, pour en garder intacte son âme, comme l’a voulu Kodeih, plaçant ainsi l’action dans un contexte atemporel, puisqu’il n’y ait pas fait mention du lieu où ça se passe, en France ou au Liban. Dans cette adaptation, un vrai travail de réécriture, le livre garde son titre original, devenu Gharam wa intikam en arabe. Idem en ce qui concerne les noms des personnages qui restent le point central de l’œuvre, puisque Kodeih et son équipe ont effectué une étude développée de leurs personnages, à tous les niveaux, tout aussi bien psychologique que sémiologique et autres.
Joe Kodeih compte sur son casting qu’il estime «très solide» pour tenir le spectacle de bout en bout et tenir, par-là, la concentration du spectateur, pour que ce dernier ne perde pas le fil conducteur de la pièce. A savoir, d’une certaine manière, le rôle de Danceny, puisque tout se passe dans la tête de l’amoureux de Cécile de Volanges, celui qui, au final, a tué Valmont. C’est que le plus important pour Kodeih est que «le spectateur puisse théâtralement suivre et comprendre jusqu’à la fin ce qui se passe sur scène, qu’il parvienne à se concentrer sur la trame et à garder le fil conducteur des événements. Cela n’est pas facile puisqu’il y a une quinzaine de tableaux, il faut donc que je l’aide un peu». Est-ce donc une pièce difficile? «Très accessible, précise-t-il, mais très juteuse. Chaque scène, même si on pourrait croire qu’elle n’est qu’une sorte de lien entre deux grands moments, eh bien non, le moindre détail a été étudié».
Au public de décider
Mis à part cet espoir précis, qui ne peut être que le résultat d’un travail rigoureux, Joe Kodeih n’a pas d’attentes particulières de la part du public libanais. «J’ai fait des succès fous et j’ai joué à guichets fermés pendant des mois. Certes, c’est le but de chaque acteur, metteur en scène, producteur, mais je n’ai jamais travaillé de sorte à attirer le public. Si j’ai dix spectateurs ou des salles combles, la qualité de mon travail ne va pas changer. Et à dire vrai, j’ai écrit dans le passé des pièces qui, à mon sens, avaient une valeur dramaturgique, avec seulement une vingtaine de spectateurs dans la soirée, alors que des pièces, que j’estimais être plus légères, ont cartonné. Récemment, on voit sur le marché au Liban l’effet du marketing sur le succès de tel ou tel spectacle. Je respecte cela, mais je suis loin de jouer le jeu. Je fais mon marketing, certes, je travaille d’une manière très agressive, mais avec beaucoup d’amour. Mon but est de faire du théâtre et c’est au public de décider s’il va venir ou pas. Dans le temps, il n’y avait pas Facebook, c’était juste le bouche à oreille; la première semaine, il n’y avait presque personne et puis on jouait durant des mois, et le public s’asseyait par terre».
Nayla Rached
Informations et réservations: Librairie Antoine ou au (76) 409 109.