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Nº 3045 du vendredi 18 mars 2016

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Du principe de souveraineté. Le génie des «petits Etats»

Le concept de souveraineté du Liban est l’objet de critiques portant sur les fondements doctrinaux et les applications concrètes, le Département d’histoire de la Faculté des lettres et des sciences humaines de l’Université Saint-Joseph et l’ambassade de Suisse au Liban ont organisé une table ronde sur le thème de la souveraineté dans les cas des deux «petits Etats»: la Suisse et le Liban.
 

Le génie de la Suisse
Membre du Conseil de la Fondation de l’Institut des hautes études internationales et du développement (IHEID), Joëlle Kuntz déclare que le génie civil d’un petit Etat consiste à maintenir une dose de souveraineté. Pour comprendre le système de la Suisse, il faut considérer deux temporalités: un temps long et un temps court. Kuntz compte sept siècles et plus pour le temps long durant lequel un espace suisse, caractérisé par la domination de l’empereur et du pape, donne à ses membres une justification et cohérence politique commune. Ce temps long contribue à fabriquer une mentalité que Kuntz décrit comme suit: les Suisses veulent rester dans un territoire où le contrôle humain est presque direct. Cette mentalité évite de rejoindre les autres: collaborer avec eux, certes, mais ne pas s’allier à eux.
Kuntz date le temps court de la Révolution française au moment où la Suisse est une agglomération de cantons qui collaborent entre eux. Lorsque la Révolution française est déclenchée, une secousse des cantons fera basculer l’ordre oligarchique. En 1798, la Révolution française menacée par les puissances monarchiques et impériales des alentours, la France décide d’occuper préventivement la Suisse. La République une et indivisible est créée, alors que les cantons ont toujours résisté à l’unification. C’est une Constitution à la française, avec un système fédéral. De 1803 à 1814, la Suisse renouvelle la pensée politique, le système industriel, etc. Lorsque Napoléon échoue dans son entreprise européenne, le congrès de Vienne se réunit et décide de prendre en charge le cas de la Suisse, dans l’impossibilité de trouver une solution au fonctionnement de son système. Empêcher la France de reprendre la Suisse pour la rabaisser, créer un Etat solide, arrondir l’espace suisse et lui accoler les cantons de la république de Genève, de la principauté de Neuchâtel et du Valais. Les cantons suisses, alors très divisés, sont forcés de penser autrement. Après le printemps des peuples en Europe en 1848, les Suisses réussissent à se forger un Etat moderne: la confédération helvétique. La politique suisse actuelle remonte à 168 ans. «Notre vraie histoire, c’est celle qu’on a conçue institutionnellement pendant ces 168 ans durant lesquels nous avons pu expérimenter l’indépendance», affirme Kuntz. L’indépendance est un concept moderne inventé par les Américains au moment où ils se sont séparés des Britanniques. Ce n’est donc pas la séparation, mais l’établissement de relations qui conviennent à chacun. C’est la raison pour laquelle toute la politique internationale suisse consiste à rechercher la bonne distance entre les différentes indépendances.

Le génie du Liban
Le Liban a vu le jour en 1920 avec la création du Grand Liban, sans souveraineté, sinon formelle, parce qu’à l’époque, encore «gouverné» par la France. Ces données de l’Etat libanais sont connues par ceux qui sont censés négocier et aménager son indépendance et sa souveraineté. Obtenue en 1943, l’indépendance est suivie, le 31 décembre 1946, d’une évacuation du territoire dans des conditions internationales et régionales. L’affaiblissement de la France dû à l’arrivée dans la région d’un contre-pouvoir: la Grande-Bretagne, une reconnaissance de l’indépendance du Liban et de la Syrie par les Etats-Unis et l’URSS, la fin du colonialisme et de la mise en place de l’Onu dont le Liban sera un Etat fondateur. Sur le plan local, le pacte national joue un rôle important que Carla Eddé, chef du département d’Histoire de l’USJ, synthétise par une formule tirée de l’éditorial de Georges Naccache de 1949: un Etat n’est pas la somme de deux impuissances – et deux négations ne feront jamais une nation. Se référant aussi à la déclaration ministérielle du gouvernement de Riad el-Solh, du 7 octobre 1943, sur la base de laquelle a été lancée la bataille diplomatique pour l’indépendance, Eddé cite: «Le Liban est une patrie au visage arabe qui puise dans la culture occidentale ce qui lui est bon et utile». Il s’agit de deux «Non»: Non à l’arabisation, à la dissolution du Liban dans une entité autre (arabe) et Non à l’Occident colonisateur. Nous repérons ainsi deux menaces que nous pouvons contrebalancer par deux alliés qui nous menacent. «Il s’agit dans cette mesure de transformer les menaces en ressources et donc Oui à la souveraineté sur base de deux alliances privilégiées avec le monde arabo-musulman et l’Occident (sous-entendu chrétien, libéral et démocratique)».
La souveraineté du Liban est ainsi basée sur une sorte d’équilibrisme avec comme problème une instabilité permanente puisqu’il s’agit de deux pôles qui cachent des dissensions. Cet équilibrisme a une finalité externe et interne. Externe, par choix et par nécessité, puisqu’il s’agit de faire accepter l’indépendance du Liban aux autres pays (régionaux et internationaux). Et interne dans la mesure où on considère qu’il y a deux pôles influents à l’époque au Liban: les Libanais «arabes» et les autres «occidentalisés».
Il est impératif de partager le pouvoir entre ces deux pôles pour faire respecter l’équilibre entre les deux pôles étrangers. D’où le confessionnalisme où il s’agit d’éviter l’alignement sur un pôle d’influence en partageant le pouvoir entre tenants d’un projet politique souvent assimilés aux membres d’un groupe religieux. Le Liban serait souverain mais sous conditions: l’intégration des groupes libanais, un consensus interne sur les choix de politique étrangère et des alliances régionales et internationales les moins contraignantes possible.

Natasha Metni

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