Après huit mois de blocage, le gouvernement a finalement adopté la solution des décharges pour résoudre la crise des déchets. Que prévoit ce plan dans les détails? Pourquoi pourrait-il surmonter les obstacles qui coinçaient encore ily a huit mois? Explications.
Samedi 12 mars, au terme d’une réunion marathon du Conseil des ministres, un plan global visant à résoudre la crise des déchets est finalement adopté. La solution temporaire s’étalera sur quatre ans et porte sur le réaménagement des décharges de Bourj Hammoud/Bauchrié et de celle de Costa Brava, à Khaldé.
La première devrait desservir les régions du Kesrouan, du Metn et une partie de Baabda, tandis que la seconde devrait accueillir les nouveaux déchets provenant de la banlieue sud de Beyrouth et de la région de Choueifate et de Aley.
Les déchets provenant de la capitale administrative seront répartis entre ces deux décharges et celle de Saïda.
1 Que se passera-t-il pendant quatre ans?
Dans les détails, le projet de Bourj Hammoud/Bauchrié prévoit, dans un premier temps, de traiter la montagne d’ordures datant de la guerre civile, et qui s’étend sur trois des cinq cellules que compte le site de Bourj Hammoud.
Il s’agit, ensuite, de réaménager les 145 000 mètres carrés que constituent les cinq cellules de Bourj Hammoud en décharge sanitaire pour accueillir les nouveaux déchets.
Avant d’être enfouis à Bourj Hammoud et à Bauchrié, les déchets seront d’abord triés dans le centre de la Quarantaine, puis empaquetés et stockés sur un terrain de 25 000 mètres carrés qu’on appelle «le parking», en attendant l’aménagement de la première cellule de Bourj Hammoud.
Au bout de quatre ans, un jardin de 145 000 mètres carrés sera créé au-dessus des anciennes cellules d’ordures.
«C’est exactement comme cela qu’a été créée Solidere au centre-ville», explique Nabil de Freige, ministre d’Etat chargé de la Réforme administrative. En face du jardin, sur le littoral, nous construirons une digue qui délimitera le remblaiement d’un terrain de 98 000 mètres carrés (propriété de l’Etat libanais) et dont la municipalité de Bourj Hammoud jouira du droit d’exploitation pour en faire des projets touristiques tels que Zaitunay Bay par exemple».
Le même principe s’appliquera sur les 110 000 mètres carrés de terrain où se trouvent les quatre cellules de Bauchrié. Là-bas, le remblaiement de 118 000 mètres carrés constituera un terrain de la propriété de l’Etat, dont la municipalité ne jouira pas d’un droit d’exploitation. Cette dernière pourra, en revanche, exploiter un terrain de 49 000 mètres carrés déjà existant à Jdeidé.
Les sites de Bourj Hammoud et Bauchrié pourront ainsi accueillir jusqu’à 1 200 tonnes de déchets par jour pendant quatre ans.
Pour le site de Costa Brava, le même principe sera appliqué. Les ordures provenant de la banlieue sud, de Choueifate et de Aley seront, au préalable, triées sur le site de Amroussié, avant d’être enfouies dans la décharge de Costa Brava.
Le droit d’exploitation d’un terrain de 160 000 mètres carrés sur la mer sera accordé aux municipalités de Bourj el-Barajné et de Choueifate. Un jardin public y sera également créé.
«Chaque municipalité concernée encaissera 8 millions de dollars par an, précise Nabil de Freige. Cela dit, si le versement de la somme peut se faire la première année sur base du douzième provisoire, pour les années suivantes le Parlement devra légiférer et donner le droit au gouvernement d’allouer ces sommes».
2 Quid des déchets anciens?
Les déchets anciens, soit ceux accumulés depuis le début de la crise des ordures (environ 300 000 tonnes), devraient être transférés à Naamé.
La décharge devrait rouvrir pour une période temporaire de deux mois, malgré la controverse et le tollé que provoque le dossier.
«La municipalité et les forces politiques de Naamé n’accepteront de rouvrir le site que lorsque le travail aura sérieusement débuté sur ceux de Bourj Hammoud et Costa Brava, indique Nabil de Freige. Elles veulent s’assurer que les travaux vont bel et bien commencer et que leur région n’aura pas à recevoir l’intégralité des déchets sur une période de quatre ans».
Le coût global du plan n’a toujours pas été divulgué, tandis que les entreprises chargées de son exécution resteront Sukleen et Sukomi lesquelles sont actuellement entendues par le parquet financier. «Ces entreprises sont les seules à pouvoir se charger de cette mission en attendant que les appels d’offres aboutissent», précise le ministre.
3 Pourquoi ce déblocage soudain?
C’est la question qui reste sur toutes les lèvres. Huit mois après le début de la crise, comment le gouvernement a-t-il pu convaincre les populations concernées d’accepter la réouverture des décharges? Pourquoi ce nouveau plan pourrait-il réussir là où le plan Chéhayeb avait déjà échoué?
«Je ne peux rien garantir quant à la mise en application du plan, estime Nabil de Freige, tout simplement car il ne faut pas huit mois pour élaborer un tel plan, mais à peine deux semaines. Les blocages étaient purement politiques. Aujourd’hui, il semble que les forces politiques qui bloquaient la solution aient décidé de coopérer».
Selon le ministre «il y a eu dans cette affaire un avant et après l’acceptation de Saad Hariri de Sleiman Frangié à la présidence». Les forces politiques qui bloquaient la solution ont préféré permettre au gouvernement de fonctionner de nouveau et ont ainsi usé de leur pouvoir sur les populations concernées pour faire accepter la solution des décharges». A l’heure où nous mettons sous presse, le ministre de l’Environnement, Mohammad Machnouk, a annoncé que l’application du plan devrait commencer sous 48 heures.
4 La paix civile menacée?
Cette semaine, au cours d’une réunion de sécurité au Grand sérail, le Premier ministre, Tammam Salam, a fait sous-entendre qu’il n’hésiterait pas à utiliser la force pour faire appliquer ce nouveau plan.
Il aurait ainsi demandé aux forces de l’ordre d’accompagner la mise en application du nouveau plan et «de prendre toutes les mesures nécessaires afin d’empêcher toute tentative de porter atteinte à l’ordre public».
Pour Ziad Abi Chaker, président de Cedar Environmental, «la réouverture de Naamé risque bien de faire couler du sang».
«Les populations sont toujours extrêmement opposées à la réouverture du site et ont promis de ne pas permettre qu’on y mette les pieds, insiste-t-il. Par ailleurs, comment s’assurer que le désastre de Naamé ne se reproduira pas à Costa Brava et Bourj Hammoud? Au départ, la décharge de Naamé était aussi censée être une décharge sanitaire et, aujourd’hui, les ordures se superposent sur plus de cinquante mètres de hauteur et ont complètement défiguré le territoire», rappelle-t-il.
5 Que se passera-t-il au bout de 4 ans?
Au terme de ces quatre ans, la solution durable prévue est bel et bien celle du «Waste to energy». Même si le gouvernement refuse de mettre le nom d’incinération sur cette technique, les experts scientifiques assurent qu’il s’agit là d’une technique portant ce nom, comme l’explique Olivia Maamari, responsable du programme environnement d’arcenciel.
«Les ‘‘thermal waste-to-energy technologies’’ englobent l’incinération, la gazéification, la pyrolyse et la torche à plasma, explique la scientifique. Quand le gouvernement parle de «Waste to energy», il s’agit donc d’incinération». Nabil de Freige rappelle, de son côté, que les municipalités qui le souhaitent et qui le peuvent pourront traiter elles-mêmes leurs ordures, à condition d’avoir présenté un projet sérieux avant la fin de cette période transitoire. Il est important de préciser que les appels d’offres concernant les incinérateurs ont déjà été lancés.
Soraya Hamdan
Les inquiétudes d’Arslan
Dans un entretien accordé à Magazine, Salim Hamadi, conseiller de Talal Arslan, chef du Parti démocrate libanais, exprime des inquiétudes quant au maintien de la paix civile dans le pays.
«Nous ne voulons pas que ce qui s’est passé à Naamé se reproduise à Costa Brava. Nous allons nous battre pour que tout soit fait dans les règles. Le paysage sociodémographique est délicat dans la région et nous ne voulons pas sacrifier la paix civile pour une affaire de décharge. Par ailleurs, nous n’avons reçu, jusqu’à présent, aucune proposition scientifique sérieuse de la part du gouvernement pouvant nous assurer que le projet adopté se fera dans les normes environnementales. Nous comprenons les craintes de la société civile et demandons que le travail du Conseil de développement et de reconstruction (CDR) soit supervisé par des experts internationaux».
«La réouverture de Bourj Hammoud, la seule solution»
Le Tachnag a tenu mercredi soir une réunion pour examiner les détails du nouveau plan du gouvernement pour régler la crise des déchets, qui prévoit, entre autres, la réouverture de la décharge de Bourj Hammoud. Contacté par Magazine, le président de la municipalité de cette localité, Antranik Meserlian, a indiqué «n’être pas particulièrement ravi de la solution choisie par le gouvernement mais, qu’à l’heure actuelle, il n’y avait plus d’autre choix possible pour sortir le pays de la crise. Tout ce qui compte, c’est que nous soyons débarrassés des poubelles, a-t-il indiqué. Nous espérons que dans quatre ans, le projet d’incinération démarrera enfin comme prévu».