Un malaise s’installe entre le Courant patriotique libre et le Hezbollah. Les partisans du CPL soupçonnent le parti de ne pas en faire assez pour l’élection du général Michel Aoun à la présidence. Qu’en est-il réellement?
Pour que le secrétaire général du Hezbollah ait décidé d’en parler dans l’interview qu’il a accordée à la chaîne al-Mayadeen, lundi 21 mars, c’est que l’affaire est importante. Certes, on peut prétendre que ce sujet a été évoqué en réponse à une question posée par l’intervieweur, mais sayyed Hassan Nasrallah aurait pu se contenter d’une réponse évasive ou traditionnelle. Mais non, le chef du Hezbollah a préféré s’étendre sur le sujet, en parlant des tentatives du chef des Forces libanaises, Samir Geagea, de semer le doute dans l’esprit des aounistes. Face à tout ce qu’il a dit sur des sujets stratégiques, ce sujet peut paraître secondaire ou peu important. Toutefois, en expliquant longuement les manœuvres visant à monter les aounistes contre le Hezbollah, Nasrallah a montré qu’il s’agit d’un thème particulièrement délicat pour son parti, qui le prend au sérieux et en discute d’ailleurs dans ses cercles internes. De plus, c’est l’une des rares fois où Nasrallah parle nommément du chef des Forces libanaises, qu’il préfère en général ne pas nommer se contentant d’allusions discrètes.
En disant tout cela, Nasrallah a prouvé qu’il était parfaitement informé du malaise qui existe chez les aounistes à l’égard du Hezbollah et il a laissé entendre qu’il ne considère pas ce climat de doutes et de suspicion comme une vague passagère, mais comme une affaire sérieuse qui s’inscrit dans le vaste plan local, régional et international visant à isoler le Hezbollah et à défaire les alliances qu’il a nouées au cours des dernières années.
Depuis le fameux accord de Maarab, dans lequel Samir Geagea a officiellement déclaré son appui à la candidature du général Aoun à la présidence, les partisans des FL n’ont cessé d’attaquer le Hezbollah, l’accusant de ne pas faire ce qu’il faut pour faire élire le leader du CPL à la présidence et estimant, qu’en réalité, le Hezbollah ne veut pas de Aoun, parce qu’il ne veut pas de président. Depuis quelque temps, Samir Geagea ne cesse d’utiliser cet argument, en précisant qu’il est très simple aujourd’hui de faire élire Aoun à la présidence. Il suffirait pour cela que le Hezbollah use de son influence sur le chef des Marada, Sleiman Frangié, et sur le président de la Chambre, Nabih Berry, pour que la question soit réglée. Pour de nombreux aounistes, l’idée paraît logique, sachant que les partisans du général attendent depuis si longtemps l’élection de leur chef qu’ils ne comprennent plus pourquoi elle n’a pas lieu, surtout que Geagea, qui représente le second parti le plus populaire sur la scène chrétienne, a accordé son appui à sa candidature, ôtant au chef du Courant du futur, Saad Hariri, son principal argument pour la rejeter.
S’il est vrai que le général Aoun lui-même ne se prononce pas sur la question, assurant dans ses dernières interventions médiatiques qu’entre le Hezbollah et son parti, il y a «une complémentarité existentielle», cela n’empêche pas les partisans du général de douter des intentions du Hezbollah. Les critiques qu’ils formulent restent, pour l’instant, dans les cercles internes, mais le malaise est perceptible. Et c’est justement pour cette raison que sayyed Nasrallah a décidé de clarifier la position de son parti. En toute franchise, il a rappelé que le général Aoun est le seul candidat appuyé par le Hezbollah. Ce parti est engagé envers lui et il ne peut pas et ne veut pas revenir sur cet engagement. Toutefois, dans le contexte actuel, si le Hezbollah participe à la séance d’élection présidentielle et assure ainsi le quorum requis, ce n’est pas Aoun qui sera élu, mais Frangié ou un autre, en raison des alliances actuelles. Le fait que le Hezbollah ne se rend pas au Parlement est donc la concrétisation de son appui à la candidature de Michel Aoun. Au sujet des pressions qu’il pourrait exercer sur ses alliés Frangié et Berry, Nasrallah a rappelé que ce n’est pas ainsi qu’il se comporte envers ses alliés, qu’il s’agisse de Aoun lui-même ou d’autres. De plus, qui pourrait garantir que les pressions n’entraîneraient pas une réaction contraire et ne pousseraient Frangié et Berry à être plus déterminés dans leur refus du chef du Bloc du Changement et de la Réforme? Pour toutes ces considérations, Nasrallah a laissé entendre qu’il faudrait attendre que les différentes parties soient convaincues de la nécessité d’élire Aoun à la présidence. En même temps, il a implicitement exhorté les aounistes à ne pas tomber dans le piège qui leur est tendu.
Joëlle Seif