Magazine Le Mensuel

Nº 3046 du vendredi 25 mars 2016

Expositions

Art is dead, Viva Dada! En 2016, soyons tous dada

«Dada ne signifie rien. Je suis contre tous les systèmes, le plus acceptable des systèmes est celui de n’en avoir par principe aucun». Coïncidant avec le 100e anniversaire de la fondation du dadaïsme, les curateurs suisses Juri Steiner et Stefan Zweifel ont dernièrement présenté, au musée Sursock, leur exposition Dada Universal qui se déroule au Musée national suisse. L’exposition ne présente pas uniquement des œuvres de ce mouvement du XXe siècle, mais examine aussi l’impact global et universel du mouvement dada jusqu’à nos jours.

Février 1916. Cabaret Voltaire, Zurich. Une avant-garde artistique se forme dans cette vieille ville du nord de la Suisse. Mouvement révolutionnaire qui voit le jour grâce à un groupe d’immigrés et d’exilés, Dada commence comme une protestation contre la Première Guerre mondiale pour se transformer en une attaque radicale contre la raison et les valeurs culturelles de la société bourgeoise considérée par les dadaïstes comme la matrice de la guerre. C’est au cœur de la Suisse, qui a réussi à conserver un principe de neutralité durant la guerre, que de nombreux artistes européens ont cherché refuge, dont le fondateur allemand du Cabaret Voltaire, Hugo Ball.

Qu’est-ce que Dada?
Le dadaïsme se caractérise par un renversement, une remise en cause et un rejet des conventions politiques, artistiques, idéologiques… Ce mouvement rassemble les artistes qui ont refusé de partir faire la guerre, qui manifestent un goût pour la provocation et qui se rejoignent dans leur rejet des vieilles valeurs. «Il y a plus d’une centaine de dadaïstes à travers le monde et il y a autant de dadaïsmes que de dadaïstes. C’était un groupe, certes, mais c’étaient des anarchistes individuels qui se lançaient dans des querelles énormes», affirment les curateurs. Le mouvement dada, dont Tristan Tzara est le chef de file, finit par s’éteindre en 1925, à la suite d’un affrontement entre celui-ci et André Breton.
L’origine du mot Dada est controversée. Alors que certains considèrent que ce nom a été trouvé par Tzara dans les pages d’un dictionnaire Larousse, d’autres accordent la paternité de Dada à Richard Huelsenbeck, écrivain et poète allemand, l’un des fondateurs du mouvement. Une troisième version proposée par Juri Steiner et Stefan Zweifel consiste à dire qu’ayant découvert, à Zurich, une entreprise qui manufacturait un produit pour les cheveux portant le nom de Dada, Tristan Tzara décide de l’adopter, puisqu’il lui a semblé être approprié aux sonorités de toutes les langues.

De la folie raisonnée à la liberté dérisoire

Dans un manifeste écrit et lu par Tristan Tzara en 1918, nous pouvons lire ce qui suit: «DADA; abolition de la mémoire: DADA; abolition de l’archéologie: DADA; abolition des prophètes: DADA; abolition du futur: DADA; croyance absolue indiscutable dans chaque dieu produit immédiat de la spontanéité: DADA; saut élégant et sans préjudice d’une harmonie à l’autre sphère; trajectoire d’une parole jetée comme un disque sonore cri; (…) Liberté: DADA DADADADA, hurlement des douleurs crispées, entrelacement des contraires et de toutes les contradictions, des grotesques, des inconséquences: LA VIE». Le texte de Tzara consiste en une énumération de ce que l’auteur veut faire passer pour la définition, l’essence de Dada. Chaque phrase alterne entre critique et revendications. Certaines énumérations décrivent les différents sentiments qui caractérisent la folie. Ainsi, l’auteur revendique l’abolition de la logique, de la mémoire, des prophètes, du futur, de l’archéologie, des hiérarchies… Il veut faire prendre conscience aux gens du monde et dénoncer l’humain. Il est forcé de passer par la révolte verbale pour pouvoir être libre et penser. Si seulement nous pouvions, au Liban, être dada…

Natasha Metni
 

Dada est…
Aujourd’hui, Dada appartient officiellement au patrimoine helvétique. Auteurs de l’exposition Dada Universal, Juri Steiner et Stefan Zweifel insistent sur l’idée selon laquelle le fait que l’exposition ait lieu au Musée national suisse a un sens quasi politique et une portée historique, puisque la Confédération reconnaît, désormais, après de longues années de déni, Dada comme l’un de ses enfants. Aussi, après un long sommeil, le Cabaret Voltaire est à nouveau accessible au public depuis 2004. Aujourd’hui, l’établissement est à la fois café, scène de théâtre et lieu d’exposition. Il préserve l’héritage des dadaïstes.

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