Depuis dimanche 3 avril, la divulgation de 11,5 millions de documents financiers provenant du cabinet d’avocats panaméen Mossack Fonseca n’en finit plus de faire trembler les personnalités politiques, les hommes d’affaires et les sportifs, dans le monde. La Russie et la Chine mais aussi plusieurs pays du Moyen-Orient apparaissent plus particulièrement visés.
A côté de l’ampleur de la divulgation des Panama Papers, les fuites diplomatiques des câbles de WikiLeaks apparaîtraient presque comme des révélations à la petite semaine. Ne serait-ce que par leur taille, puisque les fichiers en provenance du cabinet d’avocats panaméen Mossack Fonseca avoisinent les 260 Go, contre seulement 1,7 Go pour les câbles diplomatiques de Julian Assange.
Inventions et falsifications?
Pour l’heure, la source à l’origine de la fuite de ces documents n’a pas encore été clairement identifiée. Ce que l’on sait, en revanche, c’est que l’importante quantité de documents a été confiée par une source anonyme au quotidien allemand Süddeutsche Zeitung, puis partagée avec les médias du monde entier par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ). Ce sont donc des journalistes de 108 groupes de presse de 76 pays qui se sont collés à la rude tâche d’éplucher, décrypter, vérifier et analyser les documents. Que révèlent-ils? Tout simplement, les transactions offshores cachées d’actifs appartenant à plus de 140 personnalités politiques, dont douze actuels ou anciens chefs d’Etat, mais aussi à des banques connues internationalement, des milliardaires, de grands noms du sport, des célébrités ou des personnalités sous le coup de sanctions internationales. Sans oublier des milliers d’anonymes.
Selon les 11,5 millions de documents diffusés, tout ce beau monde aurait fait appel au cabinet Mossack Fonseca, situé au Panama et spécialisé dans la domiciliation de sociétés offshores, entre 1977 et 2015. Autant dire que ces révélations jettent une lumière crue – et peu flatteuse – sur le monde déjà très opaque de la finance offshore et des paradis fiscaux. Si l’utilisation de comptes offshores n’a rien d’illégal en soi, les documents détailleraient des montages laissant soupçonner de la fraude fiscale ou du recel de détournement de fonds publics.
En première ligne des révélations des Panama Papers, le Kremlin et, plus particulièrement, le président russe, Vladimir Poutine, et son entourage. Selon le journal Le Monde, qui fait partie de l’ICIJ, «les riches amis oligarques de Vladimir Poutine, le président de la Russie, ont profité de leurs liens avec le pouvoir pour s’en mettre plein les poches. C’est aussi le cas du meilleur ami du président, le violoncelliste Sergueï Roldouquine, qui aurait servi de prête-nom pour le compte de M. Poutine pour détourner de l’argent des entreprises publiques». Le quotidien du matin estime ainsi qu’«au moins 2 milliards de dollars auraient été transférés dans des sociétés écrans dans différents paradis fiscaux». Toujours selon l’enquête menée par Le Monde, «le recours à l’offshore a permis au régime un contrôle discret, mais croissant sur les secteurs stratégiques de l’économie russe, notamment les médias». Pivot des montages offshores du régime, selon les données fuitées, Bank Rossia. Un établissement bancaire qu’un «responsable de la Maison-Blanche décrivait en 2014 comme la ‘crony bank’ du régime, la banque des copains» et dont le principal actionnaire est Iouri Kovaltchouk qui serait le «banquier personnel» de Poutine.
Face à ces accusations – pas nouvelles, le président russe étant régulièrement accusé d’être à la tête d’un joli pactole – le Kremlin a estimé, lundi, que les Panama Papers ne contiennent «rien de concret ou de nouveau». «Il n’y a pas de détails et tout le reste se base sur des spéculations», a-t-il ajouté. «Nous connaissons bien cette soi-disant communauté journalistique. Il y a parmi eux de nombreux journalistes dont le journalisme n’est pas l’activité principale. Beaucoup sont d’anciens employés du département d’Etat, de la CIA, d’autres services secrets», a déclaré à la presse Dmitri Peskov, le porte-parole du Kremlin, dénonçant une enquête pleine d’«inventions» et de «falsifications». Pour la Russie, les Panama Papers viseraient une «cible principale», Vladimir Poutine, en vue de «déstabiliser la situation» politique du pays en vue des prochaines élections.
Autre pays ciblé: la Chine. Là aussi, ce sont des proches de hauts dirigeants chinois qui sont épinglés par les documents qui révèlent qu’ils possèderaient des sociétés écrans dans des paradis fiscaux, afin de dissimuler leurs fortunes. Parmi les mis en cause, le président Xi Jinping, dont le beau-frère, Deng Jiagui, aurait été à la manœuvre, via deux sociétés domiciliées dans les îles Vierges britanniques, paradis fiscal notoire. Au moins huit membres, anciens ou actuels, du tout-puissant comité permanent du Bureau politique du Parti communiste chinois, figurent parmi les personnalités citées. Des révélations plutôt embarrassantes pour le régime en place d’autant que Xi Jinping vante, depuis son accession au pouvoir fin 2012, sa détermination à combattre la corruption…
Epinglés également par les Panamas Papers, les chefs d’Etat ou de gouvernement islandais, argentin, ukrainien, mais aussi ceux de l’Arabie saoudite et des Emirats arabes unis (voir encadré). Des proches des présidents d’Azerbaïdjan, de Syrie, d’Afrique du Sud et du Mexique, des rois du Maroc et d’Espagne, des Premiers ministres du Pakistan et de Malaisie, entre autres, figurent aussi sur le banc des accusés. Les documents issus du cabinet Mossack Fonseca mettent également en cause des anciens chefs d’Etat et de gouvernement d’Egypte, de Géorgie, Irak, Qatar, Jordanie, Soudan, Ghana, Côte d’Ivoire, Guinée, ainsi que des personnalités du monde du sport, comme le footballeur Lionel Messi ou encore Michel Platini.
En revanche, grosse surprise, aucun citoyen américain d’envergure – autrement dit connu – n’est mentionné à ce stade dans les Panama Papers. Ce qui fait dire à certains que les fuites du cabinet Mossack Fonseca pourraient apparaître comme une réponse aux révélations diplomatiques de WikiLeaks, qui avaient embarrassé plus d’un dirigeant du camp occidental. Si la presse internationale se focalise dans l’immédiat sur l’aspect purement financier de ces révélations, dénonçant telle ou telle malversation, évasion fiscale ou blanchiment d’argent, elle ferait peut-être bien de s’intéresser aussi à l’aspect politique des Panama Papers. Certaines personnalités politiques françaises, comme le député des Français de l’étranger Thierry Mariani, proche de François Fillon et ouvertement pro-russe, n’a pas caché sa perplexité face à ces révélations. «C’est au Panama et il n’y aurait aucun Américain en cause? Bizarre… Mais attendons la suite», a-t-il tweeté lundi. Un argumentaire repris à son compte par le cofondateur du parti de Gauche, Jean-Luc Mélenchon, dans un communiqué. «La liste des Etats mentionnés est tout à fait politiquement correcte, on voit bien qu’il n’y a pas de voyous dans certains pays. Est-ce crédible? La presse libre est-elle si indépendante?», s’est-il étonné. Des critiques balayées par le journaliste du Monde, Maxime Vaudano, qui a indiqué que les Panama Papers concernent aussi «beaucoup d’Américains (mais) beaucoup d’anonymes». Si ces fuites ont été orchestrées, comme certains l’avancent, par la CIA, pour déstabiliser de grands pays comme la Russie ou la Chine, il n’est pas sûr que l’effet escompté soit au rendez-vous, faute de relais médiatique ou de capacité de mobilisation de leurs opinions publiques.
Rami Makhlouf et Salmane
Le Moyen-Orient est aussi au cœur des révélations des Panama Papers. En Syrie, c’est l’entourage proche du président Bachar el-Assad qui est mis en cause. Selon les données de Mossack Fonseca citées par Le Monde, Rami et Hafez Makhlouf – les cousins d’Assad – détenaient des participations au capital de plusieurs sociétés immatriculées dans les îles Vierges britanniques. «En février 2011, des employés de Mossack Fonseca ont commencé à évoquer par e-mail les soupçons de pots-de-vin et de corruption qui pesaient sur les membres de la famille Makhlouf et les sanctions qui avaient déjà été prises par le département du Trésor des Etats-Unis», précise le journal. Après une enquête visant la société Drex Technologies S.A. pour blanchiment d’argent, Mossack Fonseca aurait d’ailleurs mis fin, dès juin 2011, à sa collaboration avec les sociétés de la famille Makhlouf.
En Arabie saoudite, c’est le roi Salmane lui-même qui est épinglé. Selon les documents révélés, le souverain saoudien aurait joué un «rôle assez flou» au sein de «la société luxembourgeoise Safason Corporation SPF S.A.», actionnaire de Verse Development Corporation, créée dans les îles Vierges britanniques en 1999.
Le prince héritier Mohammad Ben Nayef, actuel ministre saoudien de l’Intérieur, apparaît lui aussi. Des banquiers d’UBS auraient utilisé des sociétés offshores afin d’ouvrir des comptes pour lui.
D’autres personnalités de la région figurent dans les documents: l’ancien Premier ministre jordanien, Ali Abu el-Ragheb, et deux dirigeants qataris – l’ancien Premier ministre Hamad Ben Jassem Ben Jaber Al Thani et l’ancien émir du Qatar, le cheikh Hamad Ben Khalifa Al Thani. Apparaissent également le président des EAU, le cheikh Khalifa Ben Zayed Ben Sultan Al Nahyan, l’ex-président du Soudan, Ahmad Ali el-Mirghani, et l’ex-Premier ministre par intérim et ancien vice-président irakien Ayad Allaoui, ou l’ex-vice-Premier ministre palestinien et proche de Mahmoud Abbas, Mohammad Moustafa. Les fuites font aussi état de données relatives à des sociétés offshores secrètes liées aux familles et aux associés de l’ancien président égyptien Hosni Moubarak, ainsi que de l’ancien dirigeant libyen, Mouammar Kadhafi.
Au moins 33 personnes et entreprises figurant dans les documents avaient été inscrites sur la liste noire par les Etats-Unis en raison d’actes répréhensibles, comme certains intérêts iraniens et ceux du Hezbollah libanais, selon l’ICIJ.
Des banques et citoyens israéliens apparaissent aussi comme ayant utilisé le cabinet Mossack Fonseca pour enregistrer des sociétés dans des paradis fiscaux.
Pour l’heure, aucune personnalité libanaise n’a été inquiétée par les fuites. L’une des seules mentions du Liban apparaît via un proche de l’ancien ministre algérien des Hydrocarbures Chakib Khelil, Omar Habour, qui aurait reçu «un virement de 34,3 millions de dollars sur l’un de ses comptes au Liban», selon Le Monde.
Jenny Saleh
Le Liban pas coopératif
Selon le directeur du Centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE, Pascal Saint-Amans, interrogé par l’AFP dans le cadre des Panama Papers, le Liban figure «parmi les pays ayant refusé l’échange automatique de renseignements», aux côtés de Bahreïn, Nauru et Vanuatu. Mais, a-t-il indiqué, ces pays récalcitrants ne figurent pas dans les «places financières d’importance» et ne sont pas des «compétiteurs de la Suisse ou du Panama».