Magazine Le Mensuel

Nº 3049 du vendredi 15 avril 2016

Expositions

Kardecim Beyrut. La Toile du silence

C’est sous l’intitulé Kardecim Beyrut, Frère Beyrouth, que trois artistes turcs, Pinar Du Pre, Yigit Yazici et Baris Saribas, exposent à la galerie Art on 56th.

 

Trois artistes, trois univers différents reliés par un film commun, cette même Toile qui connecte le monde et développe une apparence de communication, tout aussi virtuelle que l’est la réalité de la solitude dans laquelle elle plonge chaque individu. L’ère du virtuel et du digital, des illusions et des aliénations, de la modernité et des valeurs, de la culture qui se compose aux temps personnels et collectifs. Entre Beyrouth et Istanbul, une connexion particulière, unique, comme l’estiment Pinar Du Pre, Yigit Yazici et Bariş Saribaş.
Né en Autriche, artiste autodidacte, Pinar Du Pre ne voile pas ses influences: du pop art mais qui n’en est pas réellement un, un style qu’elle décrit comme «Jugendstil Pop-Art». Dans ses toiles, une ambiance particulière, une ambiance digitale qui se perçoit dans le fond et dans la forme, dans les éléments divers qu’on dirait cousus l’un à côté de l’autre, l’un sur l’autre. Des simples mixed-médias, comme des codes chiffrés qui se combinent pour déstructurer chaque construction artistique ancrée entre le monde extérieur et le monde intérieur, le monde physique et le monde spirituel. Salma Hayek, Marylin Monroe… ce sont bien ces figures-là qu’on reconnaît, mais passées à travers une espèce de filtrage, une distorsion à la fois familière et inquiétante. Parce que la perception de la réalité physique peut être fausse, composée d’une multitude de couches illusoires, la toile déborde du canevas dans une fusion de médiums, entraînant le visiteur dans une recherche personnelle entre le visible et l’invisible. Bienvenue dans la Matrice…
Pour Yigit Yazici, la vie et l’art ne peuvent être que le reflet l’un de l’autre, chacun servant à approfondir et à mieux assimiler l’autre. «Le bonheur est un choix»; cette phrase qu’il décline en plusieurs langues, sur le fond style pop art de ses toiles, revient comme un leitmotiv qui semble guider tout son travail. «Je m’accepte comme je suis et je respecte cela», dit-il. «Embrasser l’inconnu est ma plus puissante arme. Ma mission, avant tout, est de trouver mon identité et de partager mon travail avec les autres». Né à Bursa, en Turquie, Yazici estime que l’art appartient à la communauté et représente un stimulant à la réflexion. Partant de là, il vise dans son travail à fournir au spectateur une nouvelle perspective, une nouvelle vision des choses, en transformant les objets de tous les jours en médiums artistiques ou en œuvres d’art, comme ses compositions multimédias ou sa série de portraits de Rafic Harriri en version pop art. Pour voir les choses autrement…
Bariş Saribaş est, peut-être, parmi les trois artistes, celui dont l’œuvre est le plus au noir, esquissant un état d’intranquillité, ces moments fugaces entre la paix et la destruction. Les mêmes éléments reviennent dans ses séries de tableaux, dont certains se refusent même à se circonscrire dans un cadre, détachés d’un calepin de croquis: volcan, arbres, arc-en-ciel, avions larguant des bombes, routes s’étalant à l’infini, étoiles, dragons, figures solitaires, arbre de vie, arbre de famille… l’homme et la nature dans ce qu’ils ont de plus ambigu, de plus contradictoire, de plus vécu, la mort et la vie assemblées dans un oxymore. Il y a dans l’œuvre de Saribaş cette inquiétante étrangeté qui happe le visiteur dans son parcours contemplatif. En raison, peut-être, de la simplicité déroutante de certaines de ses peintures, presque minimalistes, quelques formes, quelques traits, mais dont la portée symbolique épouse les contours du monde et de soi.
«Big Brother» n’est peut-être pas aussi loin que cela, il est en chacun de nous.

 

Nayla Rached

L’exposition se poursuit jusqu’au 23 avril, à la galerie Art on 56th, à Gemmayzé.

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