Magazine Le Mensuel

Nº 3049 du vendredi 15 avril 2016

ACTUALITIÉS

La trêve vacille à Alep. La Syrie entre négociations et guerre

Alors que les négociations de Genève devaient reprendre cette semaine, la trêve conclue le 27 février sous les auspices de Washington et de Moscou semble s’effondrer. La grande bataille d’Alep se profile, tandis que de violents combats font rage autour de la ville.

La trêve a vécu. Le cessez-le-feu entériné le 27 février dernier par le régime et les groupes de l’opposition présents à Genève, excluant de fait le Front al-Nosra et l’Etat islamique (EI), a vacillé sur ses fondations ces derniers jours. Si pour l’heure, aucune des parties n’a encore prononcé l’acte de décès officiel de la trêve, il ne fait pas de doute que le cessez-le-feu est actuellement au stade de mort clinique.
Les violations – qui n’ont jamais réellement cessé depuis l’accord – se sont faites quotidiennes, notamment autour d’Alep, la deuxième ville du pays. Rappelons qu’à la date du 25 mars, soit après presque un mois de cessez-le-feu officiel, le Syrian Network for Human Rights avait enregistré 896 violations de la trêve, l’immense majorité provenant de tirs du régime, soit d’avions, de tirs d’artillerie ou de snipers. Une sorte de stratégie du harcèlement qui a contribué à saper la confiance des rebelles dans l’accord.
Le régime, lui, accuse les rebelles d’avoir miné la trêve, en lançant des attaques contre les positions de l’armée et de ses alliés, surtout dans la région d’Alep.
 

Daech contre-attaque
Sans trop de surprise, les combats se sont intensifiés ces derniers jours autour de la grande ville du nord de la Syrie, où plusieurs factions rebelles combattent les troupes de l’armée syrienne.
Depuis lundi, le Front al-Nosra, allié aux rebelles, a lancé trois offensives coordonnées sur plusieurs fronts, dans les provinces d’Alep, de Hama et de Lattaquié, comme une annonce faite par cette franchise d’al-Qaïda en Syrie, à la mi-mars, le laissait présager. «Il s’agit de l’offensive que le Front al-Nosra avait menacé de mener il y a quelques semaines», soulignait Rami Abdel-Rahman, de l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), à la suite du retrait partiel des troupes russes à la demande du président Vladimir Poutine. Une source militaire confirmait d’ailleurs que des «groupes armés» avaient «tenté d’attaquer plusieurs positions militaires dans les provinces de Lattaquié et Hama, mais sans réussir à avancer».
Jusque-là, les jihadistes ont pu s’emparer d’une colline dans la région montagneuse de Lattaquié.
Presque simultanément, les combattants de l’Etat islamique sont parvenus à reprendre la ville d’al-Raï, dont les rebelles s’étaient emparés le 7 avril, et qui constituait pour l’organisation un point de passage de la première importance avec la Turquie voisine. Selon Rami Abdel-Rahman, «le fait que les rebelles ne puissent pas tenir al-Raï démontre qu’il leur est impossible de conserver une position contre l’EI sans couverture aérienne», ce qui paraît plutôt inquiétant. Toutefois, les mêmes rebelles, appartenant à des brigades estampillées Armée syrienne libre et soutenus par la Turquie et les Etats-Unis, avaient reconquis, outre al-Raï, une quinzaine de villages tombés dans le giron de l’EI.
Forte de ses succès militaires enregistrés à Palmyre et al-Qaryatayn, dans le centre de la Syrie, l’armée syrienne poursuit ses offensives, se préparant à marcher vers la province de Deir-Ezzor, à l’est.
Mais c’est une autre grande bataille qui se profile ces prochains jours, jetant le doute sur le succès des négociations inter-syriennes de Genève, qui devaient reprendre le 14 avril, avec les deux délégations réunies en Suisse. Celle d’Alep. Le Premier ministre syrien, Waël el-Halqi, a en effet prévenu, dès dimanche, que le régime et ses «partenaires russes» étaient prêts à lancer une offensive pour enfin reprendre la ville. D’ailleurs, les fronts autour de la capitale économique de la Syrie, plutôt calmes depuis l’instauration du cessez-le-feu, ont connu, ces derniers jours, une recrudescence des opérations militaires. Des combats se sont déroulés au sud et au nord de la ville, mettant en scène l’artillerie, les chars et l’aviation entre l’armée du régime et la coalition rebelle composée, entre autres, du Front al-Nosra.
L’armée syrienne a d’ailleurs envoyé d’importants renforts autour d’Alep, dans le nord-est, selon la presse syrienne. Malgré ces rumeurs insistantes d’assaut imminent sur la ville, la Russie, qui soutient toujours militairement les forces du régime dans leurs avancées, continue de nier tout projet de grande bataille. L’armée russe a toutefois signalé l’afflux de jihadistes appartenant au Front al-Nosra dans la zone qui laisserait présager de l’imminence d’une grande offensive. Sergueï Roudkoï, chef du commandement des opérations de l’état-major général, a laissé entendre que les combattants du Front al-Nosra envisageraient de couper l’axe routier entre Alep et Damas. Il a aussi évoqué le regroupement au sud-ouest et au nord d’Alep d’environ 9 500 combattants. Une chambre d’opérations commune regroupant représentants russes, syriens, iraniens et du Hezbollah, aurait été installée dans le rif d’Alep, dans la perspective d’une grande offensive à venir. L’objectif serait de parvenir à pacifier la ville dont 30% sont encore aux mains des rebelles. Toutefois, la tenue d’élections législatives organisées par le régime de Bachar el-Assad, le 13 avril, a retardé le lancement des opérations.
Exclu de facto des négociations inter-syriennes de Genève, car classé terroriste par la communauté internationale, le Front al-Nosra ne ménage pas ses efforts pour torpiller la trêve. Dès la mi-mars, le groupe jihadiste aurait entamé des négociations avec plusieurs groupes d’opposition afin de remobiliser les troupes contre un ennemi commun: le régime d’Assad. Comme l’Etat islamique, le Front al-Nosra n’a aucun intérêt à ce que la trêve perdure et à ce que les négociations de Genève avancent. La mort du porte-parole de l’organisation, Abou Firas el-Suri, tué par une frappe américaine le 3 avril, n’a fait qu’accroître leur détermination.
Ces récents développements suscitent, on s’en doute, la vive inquiétude de Washington. Le Département d’Etat américain s’est dit, par la voix de Mark Toner, son porte-parole, «très inquiet de la récente poussée de violence, et cela concerne des opérations qui vont à l’encontre de la cessation des hostilités». Le chef de la diplomatie américaine, John Kerry, a d’ailleurs appelé dimanche soir, son homologue russe, Sergueï Lavrov.
Du côté de l’opposition syrienne, l’inquiétude est de mise aussi. Dans une interview publiée dans Le Journal du dimanche, Bassma Kodmani, membre de la délégation du Haut comité des négociations, a indiqué que «ces dix derniers jours, on a même assisté à une détérioration très grave et le cessez-le-feu est sur le point de s’effondrer». Elle a affirmé: «L’utilisation des barils d’explosifs a repris», regrettant l’impuissance de «la mission américano-russe chargée de la surveillance du cessez-le-feu».
L’émissaire spécial des Nations unies pour la Syrie, Staffan de Mistura, s’est rendu à Damas dès dimanche, afin de préparer les négociations de Genève. «La prochaine phase des pourparlers de Genève est cruciale, car nous allons nous concentrer sur la transition politique, sur la gouvernance et les principes constitutionnels», a-t-il déclaré, après une rencontre avec le chef de la diplomatie syrienne, Walid Moallem. Malgré les obstacles et les développements sur le terrain, l’émissaire de l’Onu a dit espérer «rendre les pourparlers constructifs et concrets». Sera-t-il entendu? Le régime a fait part, via Moallem, de l’intention de la Syrie de négocier sans conditions dès ce vendredi. Sous pression russe?
A l’issue de ses dernières réunions avec le gouvernement et l’opposition, De Mistura a remis une feuille de route visant à cadrer les négociations. Pas sûr qu’il soit entendu. Là où Bachar el-Assad, fort de son succès sur le terrain, continue de maintenir sa présence au sein d’un processus de transition, l’opposition y reste fermement hostile.
Les négociations de cette fin de semaine devraient être aussi l’occasion de mieux percevoir le rapport de force au sein du Haut comité des négociations qui rassemble une myriade de groupes d’opposition. Des discussions animées auraient eu lieu, ces derniers jours, pour savoir si Mohammad Allouche, membre du bureau politique de Jaïch el-Islam, et dont la présence aux négociations avait suscité l’ire de Moscou, devait toujours être associé au processus de Genève.
Quoi qu’il en soit, entre une trêve sous assistance respiratoire et la perspective d’une grande offensive pour reprendre Alep, les négociations s’annoncent sous de bien mauvais hospices.

Jenny Saleh

Retour à Palmyre
A Palmyre et à al-Qaryatayn, plus de 2 000 habitants, désireux de retrouver leurs maisons, devraient être acheminés dans ces localités en autobus.
L’approvisionnement en eau et en électricité devrait être rétabli dans ces deux villes, selon une promesse des autorités du régime à Homs.
Par ailleurs, selon l’agence de presse russe Sputniknews, qui cite le vice-gouverneur de la région de Deraa, Awad Soueidan, «plus de 1 000 membres de groupes armés en Syrie ont déposé les armes dans la province».
Selon le porte-parole du Centre russe pour la réconciliation en Syrie, le colonel Iouri Zraïev, une amélioration de la situation peut être constatée dans la province de Deraa. «Le processus est très difficile, mais on assiste à une tendance positive en comparaison avec les statistiques du mois dernier. Cela est principalement dû à la victoire remportée par les forces gouvernementales à Palmyre», explique l’officier.

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