Qu’attendaient donc ceux qui se disent déçus ou qui critiquent la visite du président français au Liban? Ignorent-ils ou veulent-ils occulter ses objectifs, clairement définis sous l’étiquette de la solidarité et de l’amitié? Espéraient-ils que François Hollande sortirait de son chapeau son homologue libanais? D’aucuns, même parmi les analystes, et non seulement des citoyens lambda, ont exprimé leurs déceptions du vide laissé derrière lui par l’hôte élyséen à son départ du pays du Cèdre. Que pouvaient-ils espérer? Une séance parlementaire imposée pour, enfin, décider de qui prendrait le chemin du palais de Baabda? Pour tous ceux-là, ceux qui n’ont toujours pas compris la cause profonde de nos problèmes institutionnels, la déception est évidemment brutale. Ceux-là vivent toujours dans la nostalgie du mandat français, ou plus près de nous, de la tutelle syrienne, qui imposaient leurs alliés les plus proches à la tête de l’Etat et des autres institutions publiques. Nous n’avons toujours pas, de toute évidence, réussi à comprendre qu’il nous fallait prendre notre destin en main. Les dirigeants, toutes appartenances et communautés confondues, ont sillonné les capitales influentes et continuent à le faire en quête d’un appui ou même de possibles pressions sur ceux qui mettent les bâtons dans les roues de la République et l’empêchent de se doter d’un président. Ils vivraient presque dans la nostalgie des décisions que pouvaient prendre à leur place les occupants, les tuteurs et tous ceux qui ont aspiré, à un moment ou un autre, mettre la main sur le pays du Cèdre tant convoité pour des raisons qui ne semblent plus avoir cours aujourd’hui. Peuvent-ils oublier ou regrettent-ils les multiples «envahisseurs» qu’ils ont pourtant combattus au fil des ans? La dernière bataille, celle du 14 mars 2005, laisse chez les Libanais, toutes tendances confondues, le goût amer d’une victoire perdue en chemin.
Les tapis rouges rentrés, le Parlement dépoussiéré pour recevoir l’hôte du Liban retrouve désespérément les fauteuils abandonnés. Pour la 38e fois – bientôt hélas nous cesserons de compter – les élus du peuple, y compris les deux candidats censés se présenter devant leurs électeurs, manquent au rendez-vous et reportent, sans beaucoup d’espoir, cette primordiale échéance aux calendes grecques. Les portes du palais de Baabda demeurent désespérément fermées et, à ce jour, on ne sait pas qui en détient les clefs. A l’instar du président français, tous les chefs d’Etat amis et étrangers, que les dirigeants ont appelés à la rescousse pour les aider à briser le carcan politique qui empêche la bonne marche des institutions publiques, les ont renvoyés, diplomatiquement, dos à dos, en leur rappelant qu’ils étaient suffisamment matures pour remplir leurs obligations nationales.
En Syrie, un chef d’Etat, dénigré et moralement destitué par une quasi-majorité de son peuple, a réussi, dans un pays en guerre, à organiser un vote populaire. Au Liban, 127 parlementaires peinent à se réunir pour exercer le rôle qui leur incombe au nom de la démocratie.
Deux ans déjà et le pays semble s’adapter à cette situation particulière et tellement critique. Se souvenant tardivement des devoirs de ses collègues de la place de l’Etoile, le ministre des Télécommunications appelle à l’élaboration d’une loi privant de son accès à la Chambre, et surtout des privilèges dont il bénéficie, tout député qui s’en absenterait deux fois sans raison majeure. Mais l’habitude étant une deuxième nature, les prorogations s’étant installées, ces messieurs, «élus du peuple» ne craignent pas d’être sanctionnés.
Après un bref intermède où les Libanais, du moins certains d’entre eux, avaient cru que leur pays n’était pas totalement abandonné au sort de ceux du Tiers-monde, les intrigues politiciennes à connotation confessionnelle reprennent leurs droits. Les dénonciations de corruption, de mauvaise gestion, de favoritisme poussé à l’extrême par certains dirigeants et la liste de la mauvaise gestion est très longue… Ceux qui ont eu l’audace d’accuser les gestionnaires de l’Etat de «puer» ont dû se replier devant la «futilité de leurs accusations» et la léthargie des accusés assurés de ne pas avoir à rendre de comptes.
Mouna Béchara