Du 4 au 7 mai, a eu lieu, au Yacht Club à Zaitunay Bay, la 12e édition du salon Jabal (Jeunes artistes des beaux-arts au Liban), organisée par la Fransabank. Pour une vision autre du monde, place au 9e art, aux arts ludiques.
Pour sa 12e édition, le salon Jabal prend, cette année, un nouveau virage qui s’inscrit toujours dans la continuité, dans l’évolution comme reflet du monde et de l’art dans toutes ses facettes. Cette fois, place au 9e art, la bande dessinée dans son concept le plus large qui n’est donc pas seulement cantonnée aux habituelles planches à bulles, mais ouverte à toutes formes et techniques, de l’illustration au dessin numérique, du monotype au dessin à l’encre, au papier carbone ou à la mine de plomb, jusqu’aux animations et performances. Le tout regroupé sous l’intitulé Les arts ludiques.
Le 9e art, ce flux qui porte
Vingt et un artistes libanais, bédéistes, illustrateurs, animateurs, dessinateurs, des noms connus, moins connus et pas encore connus, ont convié le public à s’immerger dans leur univers particulier, de bulles, de couleurs, de traits, de mots, de formes, de suggestion… Un monde qui n’est qu’une partie du nôtre, un reflet du nôtre, puisque ce 9e art permet de «regarder notre quotidien par un autre prisme, un prisme essentiel pour comprendre le monde, comme l’affirme Serge Darpeix, directeur artistique et technique des Rencontres du 9e art d’Aix-en-Provence, France. Invité au salon Jabal, il a pris part à la table ronde organisée en ouverture de l’exposition, le mercredi 4 mai, aux côtés de Dania Kassar, directrice marketing et communication de la Fransabank, Michèle Standjofski, illustratrice et bédéiste libanaise, Laure d’Hauteville, conseillère artistique, et Pascal Odile, expert à la CNES (Chambre nationale des experts spécialisés).
Pour évoquer «Le monde (qui) se raconte en images», chacun des intervenants a levé une partie du voile qui couvre encore, peut-être un peu plus au Liban, l’univers du 9e art. Expression artistique des plus riches et novatrices, touchant à plusieurs générations et abordant divers thèmes, Darpeix estime que le 9e art est révélateur de maturité et d’une grande modernité. Michèle Standjofski, de son côté, a souligné le rapport évident qui existe entre le Liban et la B.D., cet «art hybride, souple, modeste et très riche, sage et ambitieux, non sclérosé, ouvert». Saluant les initiatives impressionnantes qui existent au Liban et continuent à se développer, à l’instar du collectif Samandal, de Dar Onbouz, ou la création, il y a plus de dix ans, d’une formation spécialisée à l’Alba, Standjofski évoque la notion de flux qui porte le lecteur de B.D. sur une trame narrative, visuelle et émotionnelle à la fois.
Le 9e art, un véritable marché
Ayant sa place aussi bien dans des musées, des galeries spécialisées, des foires, un véritable marché s’instaure de plus en plus avec la B.D. au cœur de ses préoccupations. Vente aux enchères et objets de collection, système de commercialisation et cercle d’amateurs de plus en plus ouvert, Pascal Odile appelle à ne pas cloisonner le 9e art. Un appel repris par Michèle Standjofski concernant justement la B.D. libanaise, à la fois jeune mais ayant déjà son histoire. Une B.D. qu’on ne peut pas mettre dans des cases spécifiques même s’il y a une ressemblance des sujets traités, parce qu’elle s’inscrit dans la diversité et l’inspiration multiple.
C’est d’ailleurs essentiellement cette «multiplicité d’écriture» qui a guidé le travail et le choix du Comité de sélection de Jabal, comme l’explique à Magazine, Marine Bougaran, membre du comité, aux côtés de Laure d’Hauteville et Pascal Odile, et commissaire de l’exposition. «On voulait montrer que la palette était énorme, que les médiums pouvaient coexister très bien les uns avec les autres. On voulait amener une grande diversité pour que les gens ne s’ennuient pas et ne soient pas dans une lecture classique de la B.D.». De par l’accrochage des œuvres, le visiteur est invité à une lecture autre, à passer plus de temps devant chaque œuvre. … «On n’est pas dans la consommation rapide de l’image. Même si le visiteur n’aime pas au premier abord, il va vouloir s’approcher, voir les détails et, peut-être, lire l’histoire».
Le 9e art, espace de rencontre
Après douze ans axés essentiellement sur la peinture et la photographie, Jabal s’est lancé dans un nouveau défi en centrant l’exposition sur la B.D. Une première que les organisateurs ont l’intention de poursuivre. C’est d’ailleurs aussi pour cette raison que certains artistes libanais, connus et médiatisés, ne figurent pas dans la sélection, à l’exemple de Lamia Ziadé. Il ne s’agit nullement d’un manque d’appréciation de son travail, très loin de là, mais à mesure que progressait la sélection, à coups de reconnaissance, de rencontres et de coups de cœur, les organisateurs, ayant déjà plusieurs noms établis et connus, ont tenu à montrer également «des émergents, ou plutôt des artistes qui ne sont pas aussi médiatisés. Les autres auront leur place l’année prochaine, puisqu’il y a une volonté de créer quelque chose de pérenne». Et si cette année, la part belle est à la B.D., Marine Bougaran révèle d’emblée l’envie des organisateurs de «réfléchir au moyen de montrer encore plus de l’animation, car il y a un vivier d’artistes ici qui sont très talentueux. On voudrait leur donner un moyen d’expression hors festival du film».
Au-delà de son approche différente cette année, Jabal reste une plateforme exceptionnelle pour les artistes libanais, pour «montrer qu’ils existent et qu’ils sont tout aussi doués dans des styles différents, toujours selon Bougaran, au moment où ils n’ont pas forcément ni les structures ici au Liban, ni la possibilité de s’exporter à l’étranger». S’exporter pour une meilleure visibilité, pour une visibilité à l’échelle internationale: Serge Darpeix intervient dans ce cadre-là. A la question de savoir pourquoi il a accepté l’invitation de Jabal de se rendre à Beyrouth, sa réponse est claire. Il y a tout d’abord une envie de tendre des passerelles entre le Liban et la France, des passerelles déjà ébauchées à travers la rencontre et l’amitié avec Zeina Abirached. Des passerelles qu’il aimerait développer davantage, «convaincu», comme il le dit, «du vrai potentiel» qui existe ici, de ces «individualités qui s’expriment à travers un langage magique», et de l’envie de les «exporter en France et les faire venir aux Rencontres d’Aix», pour principalement créer un espace de rencontre entre les artistes des deux pays dans l’espoir d’une collaboration, d’un travail commun.
Nayla Rached
Les artistes exposés
Zeina Abirached, Jorj Abou Mhaya, Chadi Aoun, Joan Baz, Tracy Chahwan, Rosane Chawi, Ely Dagher, Ghadi Ghosn, Carla Habib, Hatem Imam, Joseph Kai, Mazen Kerbaj, Karen Keyrouz, Omar Khouri, Raphaëlle Macaron, Isabelle Manoukian, Lena Merhej, Barrack Rima, Patrick Sfeir et le collectif Samandal.