La question peut sembler folle. Pourtant, elle affole déjà les compagnies d’assurances du monde entier, puisque d’ici vingt à trente ans, c’est à une véritable révolution qu’elles seront confrontées. Celle de la voiture sans chauffeur.
D’ici vingt à trente ans, voire peut-être plus tôt, la voiture sans pilote ne sera plus un phénomène de science-fiction. Chez les constructeurs automobiles, on travaille d’arrache-pied à la conception de ce véhicule autonome dans lequel l’usager n’aura plus qu’à s’asseoir et à se laisser conduire. Le règne de l’automobile sans conducteur est, d’ores et déjà, annoncé et des tests dans le trafic réel seront très prochainement autorisés.
De quoi, on l’imagine, donner, dès maintenant, la migraine aux assureurs. Selon le cabinet KPMG, la fréquence des accidents devrait chuter de 80% à l’horizon 2040, grâce à ces véhicules pilotés par ordinateur. Pour les compagnies d’assurances, cette perspective les amène à remettre totalement en question le concept même de l’assurance auto. Non pas tant à cause de la contraction prévisible de ce marché qui fondra, sans aucun doute, de moitié d’ici vingt à trente ans. Mais ce qui inquiète surtout la profession, c’est comment adapter l’assurance automobile à ce nouveau mode de conduite.
Car plusieurs questions essentielles se poseront de fait. Comme celle de la responsabilité en cas d’accident. Lorsqu’un véhicule conçu pour que personne ne tienne le volant effectue une sortie de route, vers qui se tourner pour identifier le responsable? Devra-t-on demander des comptes au constructeur, au sous-traitant qui a conçu les algorithmes du système informatique, à la société qui a fabriqué des capteurs, ou encore aux pouvoirs publics, responsables de l’infrastructure routière?
Ces questions, qui se posent inéluctablement face à l’avancée des technologies, tourneront autour d’un thème central, celui de la responsabilité. L’avènement de l’ère de la voiture autonome entraînera, sans aucun doute, des évolutions très profondes de la réglementation. Conscientes des problèmes que cela entraînera, les compagnies d’assurances ont commencé à travailler sur le sujet. Car pour elles, outre la disparition de la police d’assurance automobile classique, d’autres problématiques s’annoncent. Quelles seront, par exemple, les modalités de vente d’une police, ou encore comment en définir la tarification?
Pour autant, selon une étude du cabinet KPMG, les assureurs sont encore loin d’être préparés à faire face à cette nouvelle révolution automobile. De l’actuariat à la gestion de sinistres, l’avènement de la voiture autonome impliquera tous les départements majeurs des assureurs, qui doivent donc se préparer à mener bataille – celle du client – avec et surtout contre les constructeurs et les entreprises technologiques.
Par ailleurs, le marché de l’assurance auto devrait aussi voir l’apparition de nouveaux acteurs, comme Google par exemple. Le géant d’Internet travaille, depuis des années, sur une voiture connectée et autonome. Il connaît bien le sujet et pourrait être tenté de faire irruption sur ce nouveau marché lucratif de l’assurance auto. Selon le rapport de KPMG, il apparaît que seuls 29% des dirigeants de compagnies d’assurances interrogés maîtrisent le sujet de la voiture autonome. Résultat: 74% d’entre eux ne sont pas préparés à ce changement, tandis que 39% craignent l’entrée de nouveaux fournisseurs.
Moins 80% d’accidents
Le cabinet KPMG a d’ailleurs élaboré un scénario pour prédire ce que pourrait devenir l’assurance auto dans une trentaine d’années. Selon celui-ci, la chute de la fréquence des sinistres automobiles entraînera une première baisse soutenue d’activité sur ce segment, puis la mutation des véhicules vers des modèles ultra-connectés en précipitera le déclin.
KMPG calcule que l’assurance auto individuelle pourrait représenter moins de 40% de sa taille actuelle sur le marché en… 2040.
Le secteur de l’assurance auto devra donc innover à tout prix ou disparaître pour un autre produit. D’ici 2040, les assureurs auront, tout de même, le temps de se concerter et d’aviser. KPMG identifie quatre phases par lesquelles le marché va passer d’ici là. A savoir l’appel à des entreprises technologiques et l’introduction, en 2017, de l’autonomisation partielle des véhicules, l’accélération, dès 2020, de la communication entre voitures et de la démocratisation de l’offre, puis la généralisation des capacités de conduite autonome des véhicules.
Concernant la taille du marché, les assureurs ne devraient pas, a priori, pouvoir faire grand-chose. L’un des atouts de la voiture sans chauffeur reste, incontestablement, la sécurité et la baisse du nombre d’accidents. «Nous pensons que l’aspect sécuritaire de la technologie de ces véhicules sera le plus impactant sur le long terme et sur la réduction de la taille de ce marché», note KPMG dans son rapport. Selon le cabinet, la fréquence des accidents chuterait de 80% à l’échéance 2040. Un pourcentage pas très surprenant en fin de compte quand on sait que les voitures équipées de systèmes de prévention des collisions frontales enregistrent une baisse allant jusqu’à 15% de leur fréquence de sinistralité en termes de responsabilité de dommages par rapport à un véhicule standard.
Période de transition
Bien sûr, que la voiture soit pilotée par ordinateur ou par l’homme, le risque zéro n’existe pas. Ces nouvelles technologies présenteront, elles aussi, leurs failles et des accidents pourront toujours survenir, en raison des conditions de circulation, des animaux errants ou de technologies défaillantes. Il ne faut pas oublier que les propriétaires de ces véhicules auront encore le choix de reprendre une conduite manuelle. Un fait qui pourrait d’ailleurs devenir une composante du risque routier pour les assureurs.
Autre problème, dont les assureurs devront tenir compte, la cohabitation, pendant un certain nombre d’années, de véhicules traditionnels, deux-roues, etc., conduits par l’homme avec les voitures autonomes. Une période de transition inévitable qui posera, là aussi, un casse-tête aux assureurs en cas de sinistre. Beaucoup d’assureurs plaideraient, dans ce cas, pour l’instauration d’un système dit de «responsabilité sans faute». «Pour simplifier, dit un professionnel dans le journal Le Monde, la victime est indemnisée et les assureurs des diverses parties s’accordent, ensuite, pour déterminer les responsabilités».
De nouveaux sujets de préoccupation, comme la cybercriminalité avec le hacking de voitures connectées et l’éventualité d’un piratage à distance, sont aussi à prévoir. Selon Le Monde, «la définition des algorithmes destinés à déterminer les choix à réaliser dans certaines situations d’urgence ouvre des débats qui donnent le vertige. Trouvant soudainement sur son chemin un véhicule arrivant en sens inverse et un tronc d’arbre lui barrant l’autre moitié de la route, contre lequel de ces deux obstacles la voiture autonome décidera-t-elle de se fracasser?».
Entrée dans une nouvelle ère, véritable révolution pour le secteur de l’automobile, la voiture autonome avec ses nombreuses inconnues n’en a, en tout cas, pas fini d’agiter le secteur de l’assurance.
Jenny Saleh
Dix fois moins de risques
Selon une étude du cabinet de conseil en stratégie Oliver Wyman, les véhicules partiellement ou entièrement autonomes représenteront, en 2035, près de 30% de la production automobile mondiale. Cette robotisation de la conduite entraînera une reconfiguration de la chaîne de valeurs et donc de nouvelles possibilités sur le marché.
Le cabinet Oliver Wyman estime que les véhicules seront 10 fois moins risqués, en termes de nombre d’accidents, que les véhicules actuels. Ces voitures robotisées permettront, en outre, de rendre mobiles de nouvelles catégories de personnes.
Cette étude considère également que la voiture sans chauffeur augmentera le taux d’utilisation des véhicules en autopartage, et que l’automatisation de la conduite contribuera à réduire les embouteillages et le trafic.