Magazine Le Mensuel

Nº 3056 du vendredi 3 juin 2016

Livre

Drôle de guerre. Histoires absurdes d’une guerre incivile

De l’histoire libanaise, ils reconstituent l’un des chapitres les plus noirs avec une «soutenable légèreté». Gabriel Gemayel (auteur), Armand Homsi (caricaturiste), Georges Boustany et André Mégarbané (collaborateurs) abordent la Guerre du Liban à travers des récits drôles et absurdes qui ont fait le quotidien des Libanais de 1975 à 1990, dans Drôle de guerre.

De la grande Histoire aux petites histoires, l’ouvrage fait le point sur divers événements de la guerre libanaise et cherche, non sans peine, à reconstruire une mémoire partagée entre les partisans de l’un ou de l’autre camp. Recueil de souvenirs cocasses, d’une époque où l’espoir n’était pas toujours au rendez-vous, les récits du livre servent à purger les faits tragiques par la comédie, servant ainsi de bouc émissaire par qui la société libanaise est réhabilitée. «Il s’agissait de publier cet ouvrage sous forme humoristique, et ce, même au niveau de la forme, d’où le recours aux caricatures», confie Gabriel Gemayel à Magazine.
 

La guerre libanaise: une tragicomédie
Ces histoires imagées n’ont toutefois pas été imaginées: elles ont toutes eu lieu et c’est avec son expertise d’archiviste que Georges Boustany leur sert de support. Maints articles, tirés d’un quotidien libanais, appuient les événements relatés dans Drôle de guerre et nourrissent de données importantes cette page douloureuse.
Gemayel cite dans cet ouvrage l’exemple des multiples histoires de miracles et d’apparition de saints au cours des différents épisodes de la guerre: à la moindre rumeur se rapportant à toutes sortes de «prodige», des centaines de Libanais accouraient vers l’endroit où ce dernier avait lieu et des imposteurs et des charlatans profitaient de leur «faiblesse» pour faire «fortune». Heurtés par l’intensité et l’horreur des événements, les Libanais s’accrochaient à tout ce qui pouvait représenter pour eux l’espoir ultime.
Drôle de guerre constitue une sorte de processus cathartique où l’image sanglante d’impossibles contrats sociaux prend de nouvelles formes, sans pour autant incriminer religions, traditions, etc.
«Toutes les guerres sont tragiques et désastreuses. Nous avons essayé de quitter ce sentier et de parcourir une piste, non encore explorée, par le biais d’histoires qui auraient pu arriver à n’importe qui», explique l’auteur.
En reprenant ces récits libanais, Drôle de guerre cherche à dépasser un discours dominant qui ne traite du Liban qu’à travers un regard politique et critique, demeurant ainsi un champ où les voix libanaises se complexifient et offrent d’autres récits en humanisant l’histoire de cette guerre. Ainsi rencontre-t-on dans ce livre des personnages qui vivent les massacres et les conflits, non comme une actualité lointaine, mais comme une réalité quotidienne et c’est par cette humanisation du conflit que la possibilité d’arrêter les cycles de violence peut être entreprise.

 

Natasha Metni

Jamais dans les livres d’histoire
C’est l’amalgame des esprits de Gabriel Gemayel, Armand Homsi, Georges Boustany et André Mégarbané qui a fait de cette œuvre une sorte de havre, de forum où le quotidien, les expériences, les échecs, les amours et l’identité des Libanais durant la guerre sont exprimés, témoignant de ce que c’est qu’être libanais dans toute sa complexité. Remplissant dans ce sens une fonction intégrale, avec tout ce que le livre renferme (images, témoignages, articles de presse, archives, histoires…), Drôle de guerre constitue un espace-temps auquel chaque Libanais est renvoyé.

Related

Joseph Ghosn. En musique ou ailleurs, l’important c’est l’identité culturelle

In Beyrouth de Carla Sayad. La ville en croquis de mémoire

Alain Ménargues. «Sans connaître le passé, il est difficile de construire l’avenir»

Laisser un commentaire


The reCAPTCHA verification period has expired. Please reload the page.