La démission des ministres Kataëb du gouvernement avait commencé comme un coup de gueule du chef du parti, Samy Gemayel, face à la corruption et à la paralysie du pouvoir exécutif. Elle ressemble désormais à un feuilleton ramadanien qui met en évidence les failles au sein de ce parti historique.
Un petit retour sur les faits s’impose. Dans une conférence de presse solennelle, le chef du parti, Samy Gemayel, a annoncé la démission de trois ministres Kataëb du gouvernement: Ramzi Joreige (Information), Sejaan Azzi (Travail) et Alain Hakim (Economie). Aussitôt, le ministre de l’Information s’est dissocié du lot, rappelant qu’il est sympathisant des Kataëb et non membre du parti. Par conséquent, il n’est pas concerné par la démission. Installé à la droite du chef du parti, Sejaan Azzi, lui, commence par dire qu’il va démissionner. Mais la nuit portant conseil, il fait savoir le lendemain qu’il ne peut pas appliquer une décision dont il n’est pas convaincu. Ses proches justifient cette attitude par le fait que la démission à l’heure actuelle est impossible par écrit, en l’absence d’un président de la République. De plus, face à la paralysie des autres institutions de l’Etat, il est impératif dans l’intérêt des citoyens de préserver ce gouvernement, en dépit de ses insuffisances. Il faut encore préciser que ce gouvernement ne peut pratiquement pas démissionner en raison des pressions internationales et régionales et pour ne pas laisser le pays dans une vacance institutionnelle quasi totale. Dans ces conditions, la démission des ministres devient plus symbolique qu’effective, sachant qu’ils sont obligés de continuer à gérer les affaires courantes. Aussi spectaculaire soit-elle, la démission d’un ministre n’a pas aujourd’hui l’effet qu’elle pourrait avoir en temps normal et, en réalité, elle ne fait qu’affaiblir encore plus le gouvernement, sans le pousser vers la sortie, tout en réduisant le rôle des parties chrétiennes au sein du pouvoir exécutif, à un moment où ces parties souffrent déjà de la vacance à la tête de la République.
Echec du compromis
En développant cette argumentation pour rester au gouvernement, Sejaan Azzi s’est donc présenté comme un ministre responsable qui préfère la réalité aussi laide soit-elle aux gesticulations spectaculaires qui peuvent avoir un écho positif au niveau de la base populaire. Mais le chef du parti Kataëb, qui a bâti toute son image sur celle d’une rupture avec le passé «consensuel» du parti, longtemps qualifié du «Parti du Pacte», n’est pas sensible à cette argumentation aussi réaliste soit-elle. Face à l’alliance entre les FL et le CPL, en dépit de ses failles, le chef des Kataëb a besoin de se trouver une place sur la scène chrétienne et il a choisi celle de la lutte contre la corruption et le refus «de la politique traditionnelle». Il a voulu donner un coup de jeune et une approche nouvelle à un parti qui souffrait avant lui d’un certain essoufflement. Il ne pouvait donc pas accepter ouvertement l’argumentation du ministre du Travail, d’autant que ce dernier représente, à ses yeux, une sorte de «vieille garde». Comprenant avec un peu de retard que son attitude a largement indisposé le chef du parti, qui a déjà du mal à s’imposer à l’ombre de son père, et sur la scène chrétienne, Azzi a bien tenté de trouver un compromis avec la direction en annonçant qu’il serait prêt à ne pas assister aux réunions du Conseil des ministres et même à ne pas se rendre à son bureau ministériel, conservant seulement la prérogative de signer les formalités. En vain. La décision du bureau politique et du commandement est tombée lundi comme un couperet et elle a été qualifiée de sans appel. Le ministre Sejaan Azzi sera donc expulsé du parti qu’il a servi depuis plus de quatre décennies, dans les bons et les mauvais jours.
Cette décision a suscité beaucoup d’émoi dans les rangs du parti. Les jeunes y sont favorables, alors que ceux qu’on considère comme la vieille garde sont choqués. Sejaan Azzi a bien essayé de recourir au chef suprême du parti, l’ancien président Amine Gemayel, mais ce dernier a estimé qu’il faut respecter les décisions du commandement. Sauf imprévu, Sejaan Azzi ne devrait donc plus faire partie des Kataëb… mais il pourra rester au gouvernement!
Joëlle Seif
En mal d’autorité
La crise que traverse actuellement le parti Kataëb avec l’affaire Sejaan Azzi est aussi vécue par la plupart des partis politiques qui ont reçu un sérieux coup à travers les dernières élections municipales. Dans plusieurs régions, des décisions des différents partis n’ont pas été respectées et tous connaissent actuellement des remous internes, qu’il s’agisse du Courant du futur ou même du Courant patriotique libre (CPL), des Forces libanaises (FL) et du Parti socialiste progressiste (PSP), sans parler d’Amal et du Hezbollah. Il serait donc bon pour eux de se doter d’une vision cohérente et surtout de cesser de considérer que les partisans n’ont pas voix au chapitre.