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Paul Khalifeh

De Juhayman el-Oteibi à Tony Blair

Les attentats suicide qui ont frappé l’Arabie saoudite, lundi 4 juillet, marquent un tournant dans la confrontation entre les autorités saoudiennes et l’Etat islamique. Ils sont d’autant plus graves que l’une des attaques a visé la Mosquée du Prophète (al-masjid al-nabawi al-charif) dans la ville sainte de Médine, l’un des lieux les plus vénérés de l’islam, ce qui explique la vague d’indignation qu’elle a soulevée dans le monde musulman.
L’attaque contre Médine n’est pas sans rappeler un autre épisode sanglant, celui de l’occupation de la Grande Mosquée de La Mecque (al-masjid al-Haram) par Juhayman el-Oteibi et plusieurs centaines de ses partisans, en novembre 1979, qui a laissé des traces profondes et provoqué des traumatismes irrémédiables, qui devaient conduire, quelques années plus tard, à l’émergence d’al-Qaïda.
Ancien caporal de la Garde nationale saoudienne, corps d’élite censé protéger la famille royale, Juhayman el-Oteibi reprochait à cette même dynastie sa corruption, son éloignement des préceptes de l’islam et ses relations étroites avec les Américains. L’écrasement de cette sédition a donné lieu à un bain de sang dans un lieu où il est interdit, en principe, de porter des armes et d’user de violence. Il a fallu une fatwa spéciale autorisant l’usage de la force dans l’enceinte de la Grande Mosquée et le soutien d’une unité du GIGN français, dirigée par le célèbre et controversé capitaine Paul Barril (converti à l’islam pour l’occasion), pour reprendre le contrôle des lieux. Le bilan était lourd: plus d’un millier de morts et de blessés, dont des centaines de soldats de la Garde nationale, dont certains s’étaient ralliés à la cause de Juhayman el-Oteibi.
Plus tard, il apparaîtra que l’un des frères d’Oussama ben Laden, Mahrous ben Laden, avait aidé les rebelles à introduire des armes dans la Grande Mosquée dans des camions appartenant à l’entreprise familiale. Une autre version – qui confirme l’utilisation de camions de l’entreprise pour l’acheminement des armes – indique que Mahrous était en fait un agent double, qui aurait fourni aux autorités saoudiennes les plans du masjid al-Haram, rénové et modernisé par Ben Laden Group en 1973, pour leur permettre de donner l’assaut.
Ce rapide survol de l’histoire est important pour comprendre que Juhayman el-Oteibi, tout comme, après lui, Oussama ben Laden, ne sont pas nés en marge du système saoudien, mais en sont des produits authentiques. Le premier était un sous-officier de la Garde nationale, le deuxième un membre d’une famille liée aux Saoud, qui a contribué, par le financement, à la création du royaume. Dans ce même ordre d’idées, le califat d’Abou Bakr el-Baghdadi est également une excroissance de l’establishment religieux saoudien, deuxième pilier du royaume, le premier étant, bien entendu, la famille royale.
Si les autorités saoudiennes s’étaient attaquées, dès 1979, aux racines du phénomène de Juhayman el-Oteibi, al-Qaïda n’aurait pas vu le jour et Daech n’aurait pas existé. Cependant, à Riyad comme à Washington, certains manitous n’ont pas estimé nécessaire d’administrer un remède radical, ils ont pensé que si ce phénomène était seulement orienté dans la «bonne direction», il pourrait servir de grands intérêts. D’où est née l’idée d’instrumentaliser cette idéologie extrémiste pour combattre «les communistes athées» en Afghanistan, dès le début des années 80. On connaît la suite… jusqu’au 11 septembre 2001.
«L’Histoire se répète», comme l’a dit Walid Joumblatt, lors d’un récent éditorial. Les Etats-Unis – et avec eux la France, la Grande-Bretagne, l’Arabie saoudite, la Turquie et d’autres – ont commis la même erreur mortelle. Au lieu de placer en tête des priorités la destruction totale de Daech et d’al-Qaïda, ils ont tergiversé, louvoyé, manœuvré, en pensant pouvoir, une nouvelle fois, instrumentaliser ces organisations dans le but d’engendrer des gains géopolitiques dans le bras de fer régional. Certains ont financé, d’autres ont armé, entraîné, facilité, ou encore minimisé le danger représenté par ces groupes. Ce jeu ambigu s’est finalement retourné contre tout le monde.
Et ce n’est pas fini. Washington espère à ce jour utiliser le Front al-Nosra pour inverser les rapports de force en Syrie, sinon comment expliquer le fait que des alliés supposés de l’Occident et de ses amis régionaux se battent côte à côte avec al-Qaïda au sein de l’«armée de la conquête»? Comment comprendre que les Américains font la sourde oreille aux appels répétés de la Russie pour séparer le Front al-Nosra des rebelles dits «modérés» (encore faut-il que ces derniers existent»?
Que faut-il espérer d’une élite occidentale corrompue et malhonnête, représentée par un Tony Blair, qui affirme, sans sourciller, qu’«après l’invasion de l’Irak (en 2003), le monde est meilleur», alors que tous nos maux viennent des guerres désastreuses pour le monde entier, lancées par les Etats-Unis et leurs vassaux, plus particulièrement celle qui a abouti à la destruction de l’Etat irakien?

Paul Khalifeh

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