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Paul Khalifeh

Diversion au dialogue

La première séance du dialogue, mardi, a été caractérisée par les tiraillements habituels entre les protagonistes, plus soucieux de marquer des points que de faire avancer la discussion. Le lendemain, à la surprise générale, les débats ont pris une tournure beaucoup plus constructive. Des questions de fond, portant sur la réforme du système politique, ont été discutées avec le plus grand sérieux, par ceux-là mêmes qui montaient sur leurs grands chevaux lorsqu’une modification de l’accord de Taëf ou un amendement de la Constitution étaient évoqués. Jeudi, les participants au dialogue se sont longuement penchés sur la réforme en profondeur du système politique, à travers la création d’un Sénat sur une base confessionnelle – tel que prévu par l’accord de Taëf –, et l’élection d’un Parlement paritaire entre chrétiens et musulmans, élu conformément à la circonscription unique et au mode de scrutin proportionnel. Cette deuxième proposition constitue un changement par rapport aux dispositions prévues par Taëf et nécessite donc un amendement constitutionnel. L’autre nouveauté est que les participants proposent la simultanéité Sénat-Parlement, alors que Taëf stipule que le Sénat sera créé «après» l’élection de la première Chambre non confessionnelle.
La question de la décentralisation administrative élargie, ses bienfaits, ses inconvénients et ses limites ont également été examinés.
Que les bonzes du système, d’ordinaire réfractaires à tout changement, soient pris, soudain, de «réformite» aiguë, a de quoi faire sourire. Certes, dans les Etats qui se respectent, les classes dirigeantes n’hésitent pas à initier des réformes qu’elles abhorrent, mais qui sont incontournables pour assurer la pérennité du système et garantir, par conséquent, leur propre survie. Mais au Liban, la caste au pouvoir n’a ni l’intelligence requise ni la volonté nécessaire pour procéder à un changement susceptible de rajeunir les institutions et de moderniser les lois.
La réforme est, non seulement souhaitée, mais elle est impérative. Cependant, on ne peut qu’être sceptique lorsque les participants au dialogue l’évoquent. Cette circonspection vient du fait que les bonzes du régime ont placé la barre tellement haut, que les chances qu’ils transforment leurs paroles en actes sont presque nulles. Car ceux qui ne parviennent pas à s’entendre sur l’élection d’un président de la République, sur une nouvelle loi électorale, ou encore sur des dossiers d’une simplicité déconcertante, portant sur la vie quotidienne des citoyens, ne pourront pas tomber d’accord sur une refonte en profondeur de l’ensemble du système. D’ailleurs, même si un accord de principe est trouvé sur les grandes lignes, il restera les détails à régler: le mécanisme de fonctionnement du Sénat, ses prérogatives, la coopération entre les deux Chambres… Il s’agit d’un gigantesque chantier constitutionnel, qui nécessitera de longs mois de débats, qui seront sans doute émaillés de bras de fer et de tiraillements.
Alors pourquoi avoir ouvert la discussion sur la création du Sénat? Pour donner l’impression à l’opinion publique que la caste politique fait quelque chose et, surtout, pour éluder les questions de l’élection présidentielle et de la loi électorale, qui nécessitent, elles, des réponses rapides.
Il s’agit d’une manœuvre de diversion pour meubler le temps, en attendant que chaque représentant d’une puissance étrangère, assis autour de la table du dialogue, reçoive des instructions claires de la part de son sponsor régional ou international.
Vous avez dit indépendance?

Paul Khalifeh


 

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