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Mouna Béchara

Le poids de la culture

Le Liban offre, plus que jamais, plusieurs visages. Celui du courageux citoyen qui fait face aux difficultés de la vie; celui qui défend la culture dans tous ses domaines; celui du politicien chargé de gérer les affaires quotidiennes et dont l’unique souci est d’accéder aux hautes sphères à n’importe quel prix. Tel est le tableau, certes raccourci, de notre société en ce XXIe siècle. Nous vivons menacés par des crises et des guerres que nous côtoyons dans l’indifférence quasi totale. Nos amis, aujourd’hui, ont d’autres chats à fouetter sur leurs propres terres.
Oubliés et quasiment isolés, privés de gestionnaires compétents et honnêtes, gérés dans la corruption, les pots-de-vin, les échanges de services… et on en passe, nous ne savons plus à quel saint ou à quel imam nous vouer. Il y a, parmi les citoyens, ceux qui ont cherché leur avenir ailleurs et ceux qui n’ont pas pu ou n’ont pas voulu le faire.
Passant outre tout ce qui se passe dans les sphères politiques libanaises, la culture prend le dessus dans le pays du Cèdre aujourd’hui, comme toujours, et dans les pires moments. Ainsi, malgré la tourmente politique, heureusement contrôlée, à Baalbeck, qui fêtait le 60e anniversaire de son festival, des troupes et des artistes de renommée mondiale tels Caracalla, Jean-Michel Jarre ou Mika ont fait salle comble. Ce dernier n’a cessé de rappeler ses origines libanaises, pour la plus grande joie d’un public enthousiaste. Beiteddine et Byblos n’étaient pas en reste. Seal, Mashrou’ Leila et Sia ont provoqué les applaudissements effrénés du public. Ils ont tous fait le plein des salles, alors qu’un nombre record de fêtes populaires égayaient les places des villages.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, de jeunes Libanais, vivant à l’étranger, ayant même acquis de nouvelles nationalités dans leurs pays d’accueil, restent nostalgiques de leurs origines. Ils étaient là cet été. Ce ne sont plus des étudiants, ils occupent déjà des fonctions de responsabilité. Ils ne se sont pas contentés de faire la tournée des grands-ducs, ils sont allés à la rencontre de villageois et rapportent, enthousiastes, ce qu’ils ont vu et ce qu’ils ont vécu au cours de leurs séjours. Ils ont sillonné le Liban, de Tyr et Saïda, à la région du Chouf, de la Békaa, au Nord. Ils en reviennent fascinés par les paysages. Surmontant le spectacle des monticules de déchets, ils ont remonté le passé historique du pays à travers les vestiges que quelques passionnés d’archéologie ont remis à découvert et qui, par miracle, continuent à raconter la richesse du Liban d’antan.
Mais au-delà de ces randonnées touristiques qui les ont emballés, et le mot n’est pas trop fort, ces Libanais d’origine, pour nombre d’entre eux, ont tenté de se projeter dans l’avenir qu’ils pourraient se forger dans le pays du Cèdre et d’imaginer les moyens d’y investir. Ils sont repartis, riches de souvenirs, mais aussi de projets. C’est peut-être et surtout sur ceux-là que le pays du Cèdre doit pouvoir compter.
Pendant que ces jeunes emportaient dans leurs bagages des souvenirs et des promesses d’avenir, les pontes de la République confinés entre les murs rutilants de Aïn el-Tiné discutaient du sexe des anges. Très peu de choses ont filtré des débats, pour ne pas dire des échanges de coups de gueule peu réjouissants. Trois jours pour rien. Trois nouveaux jours perdus une fois de plus pour le pays. Qu’y a-t-il eu de nouveau à l’horizon du palais de Baabda, de la Place de l’Etoile et de la survie des institutions dont l’armée, principale colonne vertébrale du pays, est en cause? Toute réforme de la Constitution mise sur le tapis est sujette à controverses. Toute succession d’un fonctionnaire de l’Etat qui va à la retraite est exploitée dans des jeux politiciens au détriment de l’intérêt et de la sécurité du pays 
Certains de nos «élus» réunis à Taëf en 1989 avaient réussi «l’exploit», rarement renouvelé, de s’entendre sur des amendements de la Constitution le 22 octobre de la même année. Ils avaient rejoint le pays côte à côte dans le même avion, donnant l’illusion d’avoir été inspirés par les lieux pour, enfin, accepter de gérer ensemble le pays. Hélas, très vite, les contestations explosent et au fil des mois, les décisions votées en Arabie à l’issue d’une guerre de quinze ans perdent leur sens. Le patriarche Mar Nasrallah Boutros Sfeir, dans sa grande sagesse, appelait les «sages» de Taëf à appliquer les décisions prises avant de les rejeter. Mais hier, comme aujourd’hui, les intérêts rendent sourd.

Mouna Béchara

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