Entre le Liban et la Louisiane, il y a une famille, la sienne, et une histoire. Raif Shwayri la raconte, avec brio, dans Beirut on the Bayou. Alfred Nicola, Louisiana and the making of modern Lebanon. Retour 220 ans en arrière. Son ouvrage est une sorte de plongeon dans l’histoire mouvementée, notamment de l’émigration, aux Etats-Unis.
Du courage, de l’ambition et l’amour des mots. Raif Shwayri a tout ça à la fois. De passage à Boston, il nous parle de son livre avec passion. C’est d’ailleurs cette dernière qui l’a incité à entamer ce projet. Pari réussi.
En 2012, raconte-t-il, «j’ai eu la chance de venir plusieurs fois à New York, dans le cadre de mes visites à la State University de New York. Chaque visite, je rencontrais des Libanais d’origine. Et chaque fois, j’étais frappé par leur résilience». La résilience, ce terme, l’auteur a eu bien raison de l’utiliser. Qui de nous n’est pas surpris par le courage d’un émigrant libanais qui tente, malgré toutes les difficultés qu’il affronte au quotidien, de réussir et d’avancer à l’étranger? C’est cette qualité qui a intrigué l’auteur. Elle l’a poussé à tracer l’histoire de son grand-père, Habib Shwayri, venu en Louisiane en 1902. Lorsqu’il est arrivé, il avait simplement vingt dollars, mais la rage de réussir… Il change de nom et devient Alfred Nicola. Ce dernier commence à colporter sur le Bayou Lafourche. Apprécié par la population locale pour sa générosité, il devient «Sweet papa» et sert dans l’armée américaine, en 1917. Quand il rentre au bercail, c’était un homme riche mais très discret. «Il a tout connu… et la réussite américaine également. Mais il a toujours été silencieux sur son passé. J’étais si intéressé par son histoire. J’ai été en Nouvelle-Orléans sur ses pas. Cent dix ans plus tard, j’ai voulu comprendre comment il a vécu. J’ai pu rencontrer des amis de son frère. J’ai reconstitué son histoire. Une très belle d’ailleurs».
Dans ce livre donc, le lecteur découvre l’histoire d’Alfred Nicola, mais ne s’arrête pas là. Il va à la rencontre de sept générations familiales. Avec chacune d’elles, s’ouvre un visage ou un chapitre du Liban. De l’émirat à la moutassarifiya, en passant par la Première Guerre mondiale, la Seconde, le mandat français… Bref, tout y figure. Toute l’histoire est tracée. Mais cela ne veut pas dire que c’est un livre d’histoire. «C’est un roman historique divisé en trois parties: l’avant-Alfred Nicola, sa période et l’après», précise l’auteur. Ce livre, racontant les Shwayri, a le mérite aussi de montrer comment certains se lancent dans des projets humanitaires en utilisant leur patrimoine pour aider les autres. Nadim, père de Raif et fils cadet d’Alfred Nicola, a fondé la fameuse institution emblématique al-Kafaat. Le but: tendre la main aux handicapés et aux défavorisés. C’était en 1957. Plus de 59 ans plus tard, la bonne réputation de cette institution, devenue une université, n’est plus un secret. Al-Kafaat couvre aujourd’hui quelque 18 domaines d’études. Des affaires à l’éducation, aux arts, à la publicité, en passant par la technologie… Preuve que, même aujourd’hui, la résilience continue d’être la meilleure amie des Shwayri.
Pauline Mouhanna, Nashville, Tennessee
Bio en bref
Raif Shwayri est diplômé du King College de Londres. Il reçoit le John W. Ryan Fellowship for International Education décerné par l’Université d’Etat de New York. Il occupe le poste de président-directeur général d’al-Kafaat Foundation au Liban. Depuis septembre dernier, il est consultant en développement international et travaille notamment avec Suny. Grâce à leur collaboration, des universités sont invitées à travailler sur les thématiques de développement dans des pays en voie de développement comme aux Caraïbes actuellement.