Economiste en chef et directeur de la recherche à Bank Audi, le Dr Marwan Barakat est confiant dans la capacité de l’économie libanaise à se redresser en 2017. Les chiffres qu’il prévoit sont éloquents.
L’ingénierie de la BDL a-t-elle eu un impact positif sur l’activité économique? Comment cela s’est-il traduit?
Il n’y a aucun doute que le développement le plus marquant de l’année 2016 demeure les opérations d’ingénierie financière de la Banque du Liban (BDL). Ces dernières se sont clairement traduites par un renforcement des avoirs extérieurs du Liban et des bilans des banques opérant dans le pays, ainsi que par une amélioration de la croissance des dépôts et de la balance des paiements. Partant de là, le renforcement de l’immunité du secteur financier, dans ses deux composantes de banques et de BDL, a eu des répercussions positives sur le risque souverain et sur la capacité du gouvernement à pallier ses besoins de financement. Dans ce contexte, la décision de S&P de relever les perspectives de notation souveraine de «négatives» à «stables» a été favorisée par l’immunité du secteur financier et par la croissance continue des dépôts. Ceci dit, les opérations d’ingénierie financière ont eu quelques répercussions défavorables, comme la diminution de la liquidité en devises des banques libanaises à l’étranger et l’augmentation de l’exposition souveraine des banques en devises. En revanche, nous pensons que les aspects positifs des opérations d’ingénierie financière dépassent les risques et que le coût de ces opérations est acceptable, compte tenu des opportunités engendrées et de la percée positive au niveau de la structure financière du Liban dans le contexte des répercussions des troubles régionaux sur la scène locale.
Nous pouvons résumer les résultats monétaires et bancaires par la croissance des dépôts auprès des banques de 7,6 milliards de dollars au cours des 11 premiers mois de 2016 (5,4 milliards de dollars au cours de la période correspondante de 2015), par le surplus de la balance des paiements de 332 millions de dollars à la suite d’un déficit de 3,3 milliards de dollars en 2015 et par l’augmentation des avoirs extérieurs de la BDL vers un niveau record dépassant les 40 milliards de dollars, couvrant 76% de la masse monétaire en livres libanaises et 26 mois d’importations, renforçant ainsi la stabilité monétaire et financière du pays.
Le choc psychologique, provoqué par l’entente politique locale, est-il suffisant pour relancer durablement l’économie?
Malgré un ralentissement net ces dernières années, en raison des troubles régionaux et des tiraillements politiques locaux, l’économie libanaise est désormais prête à rebondir sur la base de l’accord politique local du dernier trimestre 2016, qui a conduit à l’élection d’un président avec un soutien régional et international et à la formation d’un gouvernement d’union nationale. Au-delà de tout obstacle qui pourrait surgir, il n’y a pas de doute que l’accord politique local a fondamentalement amélioré le profil de risque du pays ainsi que les opportunités économiques à l’horizon. Ceci dit, pour relancer durablement l’économie, il faudrait assurer la pérennité de l’entente politique et lancer les réformes structurelles, longtemps attendues, et consistant à améliorer le climat des affaires, assurer un renforcement de la productivité réelle de l’économie et entreprendre l’ajustement fiscal nécessaire.
Quels sont vos pronostics pour 2017 au niveau de la croissance?
Nos prévisions macroéconomiques pour 2017, à la suite de l’élection présidentielle et de la formation du cabinet, mais en l’absence persistante de règlement du conflit régional, place la croissance du PIB réel du Liban à 4%. Soit plus que le double de la moyenne enregistrée au cours des six dernières années (1,8%).
Alors que la matérialisation d’un tel scénario pourrait être, en quelque sorte, sujette à quelques facteurs de risque, nous pensons que de tels risques ont récemment diminué et que les opportunités macroéconomiques dépassent les menaces potentielles dans le proche avenir, pavant ainsi la voie à une matérialisation plausible de nos prévisions. Notons que, dans le cas d’une percée politique à l’échelle régionale via un accord régional, de tels chiffres pourraient évoluer en conséquence, bien que nous pensions que la probabilité d’un tel scénario demeure peu probable, dans le court terme.
La consommation, qui est un indicateur important de l’activité économique, va-t-elle s’améliorer?
L’amélioration de la conjoncture économique serait accompagnée d’une croissance de la consommation privée, résultant d’une amélioration du comportement de consommation des Libanais résidents, de flux entrants croissants de Libanais non-résidents et d’une amélioration graduelle de la saison touristique, surtout après la normalisation politique entre le Liban et les pays du Golfe, à la suite de l’élection présidentielle. Ainsi, la consommation privée progresserait de 7% par an, en termes nominaux, selon nos estimations, et accaparerait le gros de la formation du PIB.
Qu’en est-il des investissements privés et des flux de capitaux entrants, en 2017?
L’amélioration de la croissance économique serait principalement favorisée par l’investissement privé, qui avait été affecté par une attitude attentiste au cours des dernières années, et qui a conduit à une contraction graduelle du taux de formation brute de capital fixe à 23%, en 2016. Nos prévisions pour 2017 supposent une croissance de l’investissement privé de 15%, en raison de l’amélioration du profil de risque politique du pays, ce qui permettrait au taux de formation brute de capital fixe d’atteindre 25%, étant donné que les Libanais prendraient davantage d’initiatives d’investissement, qu’ils avaient ajournées au cours des dernières années. L’amélioration des conditions politico-économiques du pays génèrerait une croissance des flux financiers à l’entrée, d’environ 20% en 2017, causée par la croissance à deux chiffres enregistrée en 2016 et favorisée par les opérations d’ingénierie financière de la BDL. La balance des paiements verrait un surplus net, pour la deuxième année consécutive, après des déficits cumulés sur la période des cinq ans s’étalant entre 2010 et 2015.
Quelles sont les conséquences corollaires aux niveaux monétaire et bancaire?
Nous projetons une croissance de la masse monétaire de 7% en 2017, favorisée par une création monétaire locale et par une variation positive des avoirs extérieurs nets. Cette croissance de la masse monétaire favoriserait une croissance des dépôts bancaires de près de 10 milliards de dollars en 2017 (20% de plus que la moyenne des trois dernières années), le total des dépôts dépassant les 170 milliards de dollars. Nous projetons une croissance des dépôts en livres libanaises supérieure à celle des dépôts en devises pour 2017. Au niveau des emplois bancaires, les créances bancaires sur le secteur privé bénéficieraient de besoins de financement grandissants dans une économie à croissance plus rapide. Nous projetons une croissance des créances bancaires sur le secteur privé d’environ 4 milliards de dollars (supérieure de 25% à la moyenne des trois dernières années), favorisée par des opportunités grandissantes d’octroi de crédits, afin de financer de nouveaux projets, une expansion d’entreprises et du fond de roulement.
|10 milliards $ c’est le montant de la croissance des dépôts bancaires en 2017, soit 20% de plus que la moyenne des trois dernières années.
Quelles devraient être, selon vous, les mesures prioritaires du gouvernement pour relancer l’économie?
Il y a trois mesures prioritaires pour le gouvernement afin de relancer l’économie. Premièrement, le défi principal auquel fait face le gouvernement consiste à renforcer l’investissement privé. La croissance de l’investissement privé serait de nature à renforcer la composante emploi de la croissance économique, qui requiert la création de nouvelles opportunités d’emploi, afin d’absorber plus de 30 000 Libanais qui rejoignent chaque année la population active. Dans ce contexte, le problème de la création d’emplois au Liban figure parmi les questions essentielles compte tenu du taux de chômage qui a doublé pour atteindre 20%.
Deuxièmement, au niveau du secteur extérieur, il faut assurer une croissance des exportations de l’ordre de 15%. Il est crucial d’améliorer et d’élargir le cadre des programmes existants de promotion des exportations et de lancer de nouveaux programmes d’incitation et des campagnes promotionnelles portant sur des secteurs à valeur ajoutée importante et dont le ratio investissement/valeur ajoutée demeure faible.
Troisièmement, il faut assurer une amélioration graduelle de l’infrastructure de base, afin de remplir les conditions nécessaires pour enregistrer une croissance économique élevée. Le Liban a besoin de pallier les déficiences émergentes au niveau de l’infrastructure de base, et a ainsi besoin de financements à grande échelle dans des secteurs aussi divers que l’énergie, le transport, les télécommunications et les ressources hydrauliques. Le ratio dépenses d’investissement/PIB doit doubler et passer de moins de 1,5% à pas moins de 3% à l’horizon, ce qui demeure quand même en-dessous de la moyenne des marchés émergents (5%). Le défi essentiel auquel fait face le gouvernement dans ce cadre, consiste à assurer le financement de l’infrastructure de base sans mettre de pression notable sur les finances publiques libanaises.
Paul Khalifeh