Pour beaucoup d’entreprises françaises, le marché libanais reste incontournable. Véritable base arrière pour pénétrer la région, il permet aussi d’accéder au monde grâce à la diaspora libanaise.
«Il faut changer son regard sur le Liban», a martelé Stéphane Attali à Dubaï, lors d’une récente conférence intitulée Le Liban, une plateforme régionale, organisée par le French Business Council Dubai/Northern Emirates (la CCI française à Dubai).
Le Liban est aujourd’hui l’un des pays les mieux placés pour y développer ses activités, selon le directeur général de l’ESA et président du MEREF- CCI France-Liban. «Le Liban, c’est l’accès à la diaspora libanaise et à un réseau de partenaires économiques extrêmement développé, notamment dans des pays où personne ne souhaite aller, insiste-t-il. Car c’est bien cela la principale caractéristique d’un entrepreneur libanais: il part là où personne ne souhaite aller: au Ghana, au Nigéria, en Irak… Pour les entreprises françaises qui ont peur d’y aller, le pays du Cèdre constitue alors l’occasion de nouer des partenariats avec des Libanais déjà installés sur place. C’est une tête de pont, non seulement sur la région, mais aussi sur le monde».
Un constat confirmé par Jacques De Lajugie, ministre conseiller pour les Affaires économiques et chef du Service économique pour le Moyen-Orient à l’ambassade de France. «Pour les entreprises françaises installées au Liban, Beyrouth apparaît comme une plateforme régionale, qui permet de pénétrer non seulement les marchés des pays de la région mais aussi ceux d’Afrique et le Kurdistan. Le réseau libanais constitue une opportunité pour les entreprises françaises car il est plus facile de pénétrer un marché tel que l’Afrique ou l’Irak lorsque l’on connaît un homme d’affaires libanais.»
Dans le domaine des cosmétiques, le Liban constitue un laboratoire pour tester les produits. «Beaucoup d’entreprises se tournent vers Beyrouth pour prendre le pouls des habitudes de consommation, souligne Philippe Patsalides, directeur général de L’Oréal Levant. C’est une sorte de «vitrine» du Moyen-Orient, qui lance les tendances et la mode dans la région».
Les produits français appréciés
Ladurée, Paul, Tartine & chocolat, Angelina… au Liban, les franchises françaises ont la cote. «Les Libanais sont friands de produits français, souligne Stéphane Attali, ce qui constitue une opportunité pour les entreprises françaises, notamment dans les secteurs du luxe, de la santé et des cosmétiques».
Pour le directeur général de L’Oréal Levant, «le marché des cosmétiques au Liban est primordial pour la région. Malgré sa petite taille (par rapport aux marchés européens), le marché libanais est très dynamique et il oriente les tendances au Moyen-Orient. Beyrouth reste la capitale de la mode, de l’art et de la beauté. Il s’agit d’une destination privilégiée pour le luxe et les cosmétiques dans toute la région. Avec l’arrivée d’un grand nombre de marques internationales, le marché est devenu très compétitif.»
C’est ce que confirme une étude réalisée par Ubifrance en 2014, qui a estimé le marché de la cosmétique de luxe au Liban (parfum, soins et maquillage) à 65 millions de dollars.
«La France est le premier fournisseur du Liban en produits cosmétiques, avec une estimation de part de marché de 60%, écrit Ubifrance. La présence des marques françaises s’avère prépondérante. La clientèle est vaste et diversifiée. Elle est bien informée, extrêmement exigeante, avec des comportements, des attentes et des aspirations variées. Il s’agit d’un marché qui évolue rapidement». Et sur lequel les consommatrices, crise ou pas, achètent en toutes circonstances. «La femme libanaise accorde beaucoup d’importance à la beauté, ajoute Philippe Patsalides. Dans certains domaines, comme la coiffure ou le maquillage, le Liban dépasse même certains pays européens. Le soin et le maquillage restent ancrés dans les habitudes de nos clientes libanaises: même lorsque la situation est difficile, les femmes ne peuvent mettre complètement de côté leurs désirs de beauté et de bien-être, surtout avec le phénomène des ‘selfies’ à tout moment de la journée.»
Selon Ubifrance, la France occupe aussi le 1er rang sur le marché de la gastronomie de luxe. «L’hexagone s’affiche comme le premier fournisseur de vin grâce à son image de prestige et de qualité, avec une part évaluée à 70%. Professionnels comme particuliers ne dissimulent pas leur préférence pour le raffinement culinaire français. Les marques françaises au Liban sont, soit implantées localement, soit distribuées par un agent local».
L’obstacle risque-pays
Aujourd’hui, la mauvaise perception des investisseurs concernant le risque-pays apparaît comme le principal problème qui empêche le Liban de devenir la capitale régionale des affaires dans la région. «Le Liban souffre de cette mauvaise image de pays instable, d’absence d’institutions fiables, ce qui ne rassure pas, regrette Stéphane Attali. Beaucoup d’investisseurs français, qui pensaient initialement à Beyrouth, ont finalement préféré Dubaï pour développer des activités, notamment ces dernières années quand le pays se trouvait sans président. Le Liban est passé à côté de belles opportunités durant cette période.»
Selon le directeur général de l’ESA, cette mauvaise perception du pays expliquerait, en partie, l’érosion des parts de marché des grands groupes français au Liban. «De nouvelles opportunités se développent dans les nouvelles technologies, avec la circulaire 331 de la BDL, et avec la perspective de la reconstruction de la Syrie, à laquelle les Français pourraient travailler avec les Libanais. C’est aussi une opportunité pour le Liban».
Si le pays du Cèdre attend beaucoup de la possible découverte de gaz et de pétrole au large de ses côtes, la plupart des experts français interrogés estiment qu’«il ne s’agit pas d’une opportunité économique imminente, le Liban ayant pris beaucoup de retard dans cette course régionale.» Les deux décrets indispensables au lancement de l’appel d’offres pour l’exploration viennent à peine d’être adoptés par le gouvernement après 4 ans de blocage. Par conséquent, les Français préfèrent se tourner vers d’autres secteurs, notamment celui du développement de l’innovation, boosté par la circulaire 331 de la BDL.
Soraya Hamdan