Magazine Le Mensuel

Nº 3076 du vendredi 7 avril 2017

Média

Amani Geha. Une femme voilée sur une chaîne «chrétienne»

Depuis janvier, Amani Geha présente l’émission ‘ala ma yabdou sur la chaîne OTV, tous les vendredis soirs. Première présentatrice voilée à apparaître sur une chaîne «chrétienne», elle brise ainsi un tabou.

C’est le sourire aux lèvres, sans son voile, qu’Amani Geha nous reçoit sur le pas de sa porte. Elle ne se contente pas d’être seulement belle. Amani Geha est d’une intelligence pétillante. Espiègle, pleine de vie, elle a su conquérir les téléspectateurs en un laps de temps très court. Pourtant, elle ne se prend jamais au sérieux. Malgré son succès, elle garde les pieds sur terre et manifeste une très grande simplicité.
Loin des médias, Amani Geha a débuté son parcours par des études de droit. «A l’université, on me répétait toujours que j’avais une belle voix et mes professeurs me disaient souvent que j’aurais dû faire des études de journalisme», confie Amani Geha. Alors qu’elle est en quatrième année, elle reçoit un coup de fil de la chaîne iranienne arabophone al-Aalam, qui lui propose de tourner un essai. Fouad Khansa, qui passait dans les studios, affirme aux responsables de la chaîne, sans l’avoir vue «Sa voix est très belle, gardez-la». Pendant six mois, elle s’entraîne pour une émission matinale qui ne verra jamais le jour pour des raisons financières.
Entre temps, Amani Geha épouse Ali Sultan et s'installe avec lui pour quelques années au Koweït. Alors qu’elle attend sa deuxième fille, Hour, le couple décide de rentrer au Liban, surtout que leur fille aînée, Mia, souffre d’une forme sévère d’épilepsie.

Dans le design
Après une tentative infructueuse auprès de la chaîne panarabe al-Mayadeen, Amani Geha se lance dans le design et la confection de vêtements. «Je réalisais des habits pour Mia. Je voulais qu’elle attire l’attention par quelque chose de spécial. Je ne voulais pas qu’on la remarque à cause de sa maladie mais à cause de son élégance», confie la jeune femme. Elle habille les mères comme les filles et commence à se faire connaître dans la confection des vêtements. Lorsqu’elle rencontre Clara Geha, présentatrice à la NTV, celle-ci lui dit: «Amani, tu as une très belle voix, il faut faire quelque chose».
Pendant quelque temps, la jeune femme présente une émission sur la chaîne al-Thabat, mais au bout de 22 épisodes, elle quitte la station. «Je n’ai pas le profil pour une télévision religieuse». Là où elle va, elle reçoit des encouragements. La présentatrice Samar Abou Khalil lui prédit qu’elle ira très loin. «J’ai présenté une demande auprès de la NTV mais on m’a répondu qu’ils ne prenaient pas des femmes voilées».
Combative, la jeune femme ne baisse pas les bras. Encouragée par Hicham Haddad, qui lui suggère de se présenter à la LBC ou à la OTV, par Charbel Krayem (présentateur de sport sur la MTV), qui lui assure qu’ils «se tueraient pour elle à la OTV», Amani Geha prend son courage à deux mains, obtient le numéro personnel de Roy Hachem, Pdg de la OTV, et l’appelle. «Lorsque je l’ai rencontré, je lui ai demandé s’il n’était pas choqué par mon voile. Il m’a répondu: laissez le voile de côté parce que je ne le vois pas et parlez-moi de votre programme».

Début raté
Elle présente son émission pour la première fois le 6 janvier 2017. «Le premier épisode était très faible. J’étais terrorisée par la réaction des téléspectateurs, à cause du trac, j'ai raté cette première apparition. Je ne savais pas si je serais acceptée par les milieux chrétiens, qui découvraient une femme voilée pour la première fois sur leurs écrans, ou par les milieux musulmans que je ne représente pas. Je ne suis pas le modèle type de la femme chiite malgré mon voile. Je respecte tout le monde mais je ne représente que moi-même», confie Amani Geha. Il faut dire qu’à part le port du voile, la jeune femme s’habille de manière très élégante. Elle reconnaît que ce qui a attiré les télespectateurs au départ, c’était de voir une femme voilée sur une chaîne chrétienne. «Mais le premier moment de surprise passé, ils ont été séduits par ma personnalité. Dans mes relations professionnelles, on ne voit plus le voile. Je m’adresse à l’esprit des gens. Je ne cherche pas à me donner en spectacle ou à attirer l’attention sur mon physique. Le voile n’a jamais été un handicap pour moi. Il n’a pas entravé ma voie».
Son vœu le plus cher est d’avoir ouvert la voie aux autres et d’être un exemple à suivre. «Je m’attends désormais à voir plus de femmes voilées sur des chaînes de télévision chrétiennes. Je voudrais dire à toutes celles qui se battent de ne jamais désespérer. Les coutumes et les traditions ne sont pas des règles absolues et on peut les enfreindre». Elle refuse que le port du voile soit un obstacle et estime avoir semé une graine. «Lorsqu’on sème une graine, on ne la voit pas, mais un jour elle finira bien par pousser». Le secret de sa réussite? «En un mot, la persévérance. Ne jamais baisser les bras». Son ambition n’a pas de limite et malgré son succès, Amani Geha reste modeste et ne s’estime jamais satisfaite de ce qu’elle fait. «Je peux donner encore plus». Elle avoue, cependant, que son expérience reste très limitée. «Tout ce que j’ai fait, c’est avoir brisé un tabou».

En chiffres
34
A 34 ans elle commence à réaliser l’ambition dont elle a rêvé pendant de nombreuses années.

15
15 minutes, c'est la durée de son stand-up show, qu’elle estime être la partie la plus difficile de son émission, au cours desquelles elle essaie de se forger une identité.  

5
Pendant cinq ans, au Koweït, Amani Geha travaille en tant que conseillère juridique.  

11
Elle a animé 11 épisodes de ‘ala ma yabdou.

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