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Nº 3076 du vendredi 7 avril 2017

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Culture

Jean-Marie Le Guen. «Le Français est langue d’action économique et diplomatique»

Selon vous, quels sont les chantiers prioritaires de la francophonie?
Lorsque l’on parle de la francophonie au Liban, c’est d’abord la célébration d’une relation particulière, le mélange de l’identité de deux nations. Le monde francophone regroupe plus de 260 millions de personnes, et aura un impact démographique considérable au XXIe siècle. L’Afrique connaît le développement démographique et économique que l’on sait… ce qui fait que la francophonie brasse de plus en plus de populations dans leur diversité. C’est aussi la troisième composante d’un monde économique. On célèbre la francophonie à travers la langue, la culture, les politiques qu’elle porte, mais cela va bien au-delà. C’est une langue d’action économique, d’action diplomatique. C’est un espace singulier, efficace et chaleureux de communication.

Quels en sont les principaux défis ?
D’abord, celui du numérique. Comment la francophonie peut prendre possession de ce nouveau continent qu’est le numérique? Il est né dans un langage qui n’est pas spontanément le nôtre, il faut se l’approprier. Le deuxième défi concerne la capacité à former les centaines de milliers d’enseignants, en Français, dont le monde francophone a besoin, tout particulièrement en Afrique. Comment former 100 000 à 200 000 enseignants en Français? C’est un défi considérable qui devrait être porté par toutes les communautés francophones. Il y a des ressources humaines que l’on pourrait très largement partager. Pourquoi demain les enseignants dont on a besoin, au Sénégal ou au Niger, ne pourraient-ils pas être aussi de jeunes Libanais francophones qui auraient envie de participer à cette aventure mondiale qu’est la francophonie?

La francophonie n’est pas en perte de vitesse, selon vous?
 Il y a un «globish» qui s’est développé et qui sert de langue de communication internationale, mais le Français est quelque part, à la fois en miroir de cette langue, et en même temps, porteur de valeurs et de dimension culturelle — sans vouloir être présomptueux — d’une autre nature que celles portées par l’Anglais. On a souvent dit que l’Anglais constituait le relais idéologique des Etats-Unis, on voit bien que ça va devenir plus compliqué. Il y a une culture et un espace propre qui est celui de la francophonie.

Votre ministère allie Francophonie et Développement. Se servent-ils mutuellement?
Ils se conjuguent au moins sur deux aspects. Beaucoup de pays francophones sont aussi des pays qui ont un besoin particulier de développement. C’est vrai de nombreux pays africains, aussi de pays ou de communautés au Moyen-Orient, de l’Egypte au Liban, en passant par la Jordanie, hier la Syrie. Ce sont des endroits où les politiques de développement ont, ou avaient, vocation à se développer d’une façon particulière. La francophonie facilite les politiques de développement. La proximité de la francophonie nous donne encore plus d’impératifs en matière de politique de développement.

La France va-t-elle continuer à s’engager aux côtés du Liban?
Nous sommes très admiratifs de la manière dont le Liban fait face à la crise syrienne. Il prend bien plus que sa part de la solidarité internationale. Il est en première ligne dans la réponse de la communauté internationale à la crise syrienne. Notre devoir est donc d’être encore plus à ses côtés. J’ai rencontré le ministre libanais des Affaires sociales pour discuter de la manière dont la France pourrait agir, notamment au sein de l’Union européenne, pour bien faire comprendre les bonnes pratiques et les bons axes d’une politique de développement. L’action humanitaire a un sens évident, mais très vite, il faut y conjuguer une politique de développement durable qui profite à tous.

L’image de la France dans la région n’a-t-elle pas souffert, ces dernières années, de ses valses-hésitations sur la crise syrienne? La France a-t-elle toujours son mot à dire au Moyen-Orient?
La France a toujours son mot à dire, elle est attendue pour sortir des crises. Nous ne sommes pas dans une relation de domination. Notre présence est, a été et sera utile, tant qu’il y aura des gens qui essaient de trouver des solutions positives. Il y a trop d’acteurs qui ont des agendas cachés. Nous n’en avons pas. Il peut arriver qu’il y ait des acteurs qui remportent des succès tactiques. Quand on est au Moyen-Orient et quand on est un pays aussi ancien que la France, on sait que ces victoires préparent d’autres moments. Nous jouons sur le long terme, sur la raison, sur des valeurs… A aucun moment, la France n’est un acteur effacé, même si certains peuvent avoir la tentation de le croire.
 

La candidature de la ministre Audrey Azoulay, à l’Unesco, a provoqué quelques remous. Certains estiment que cela pouvait blesser les pays arabes. Votre réaction?
Audrey Azoulay est une personnalité qui a toutes les qualités personnelles requises pour prétendre à ces responsabilités. Le fait que nous soyons le pays hébergeant le siège de l’Unesco ne nous empêche en aucune façon d’être candidat, mais cela nous impose de solliciter des candidatures qui rassemblent. Une autre règle non écrite laisse aussi entendre qu’il y avait une candidature du monde arabe, mais ce n’est pas une loi. Cette année, il y a un certain nombre de candidatures de pays arabes, ce qui laisse à penser qu’il n’y a pas de ce point de vue, une évidence. Tout cela intervient dans un contexte dans lequel nous n’avançons pas de manière présomptueuse.

Vous souteniez Manuels Valls lors de la primaire socialiste. A qui vous ralliez-vous?  
Je ne vais pas m’exprimer sur mon engagement politique. Il y a des enjeux majeurs dans cette période et il faut avoir l’esprit simple. Il y a une option qui est proposée dans différents pays, celle du repli sur soi, de la démagogie, de l’irrationalité, de l’aventure, dans ce qu’elle a de plus négatif. Le courage politique aujourd’hui, c’est d’écarter l’hypothèse maléfique, c’est-à-dire Mme Le Pen. Il y a tout un tas d’options dans les rangs de ceux qui refusent cette hypothèse, il y a matière à débattre et de ce point de vue, on n’est pas totalement rassasié dans cette campagne. Le risque c’est que la France soit déclassée. Par l’élection même de Mme Le Pen, nous aurions rompu le pacte entre la France et le monde.

Vous dites que la France est attendue partout. Pourtant, en Afrique, la Chine et d’autres pays arrivent en force pour tenter de conquérir ces marchés. Que fait la France?
La France est un partenaire essentiel. L’intérêt stratégique de la France, ce n’est pas la part française en Afrique, c’est le développement de l’Afrique. Nous ne sommes plus dans un rapport où nous défendons un pré carré. La Françafrique, c’est fini, même si ça réapparaît de temps en temps, sous la forme d’un fantôme. Notre intérêt c’est que ces pays, comme la Chine par exemple, s’intéressent à l’Afrique pour son développement.

Jenny Saleh

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