Auteur et journaliste, Warren Singh-Bartlett vient de publier aux éditions Tamyras un ouvrage alliant textes et photographies, Getting lost in Lebanon. Une immersion dans la diversité du pays et une invitation ouverte à se retrouver, comme il l’a expliqué à Magazine.
Il est venu au Liban en mai 1998, pour une visite de trois jours. Il n’est plus reparti. «Pourtant, affirme Warren Singh-Bartlett, mes premières impressions étaient complètement négatives». En taxi-service depuis la Syrie, pluie torrentielle, chaos, des soldats partout, cherté… «Qu’est-ce que je suis venu faire ici?, ne cesse-t-il de répéter, puis «d’un coup, juste au-dessus d’Aley, là où on peut apercevoir Beyrouth pour la première fois, la pluie s’est instantanément arrêtée, les nuages se sont ouverts et un rai de lumière a frappé la mer juste en face de moi. Mon cœur s’est arrêté, je n’avais rien vu d’aussi beau de ma vie», poursuit-il, alors qu’il ressent encore la chair de poule au souvenir de ce moment. Arrivé à Beyrouth, une autre chaleur, humaine cette fois, le saisit. Par un heureux concours de circonstances, alors qu’il se trouve, le dimanche, sans liquidités, un chauffeur de taxi passe plus d’une heure avec lui pour s’assurer qu’il a trouvé un logement adéquat. Il reviendra plus tard le voir avec un plat cuisiné par sa femme. Sans aucune rémunération. «Bienvenue dans mon pays», lui dit le chauffeur. «Je ne l’ai plus jamais revu. Depuis, toutes les portes se sont ouvertes devant moi». Les trois jours prévus initialement deviennent trois semaines, puis un ami lui dit: «Et si tu restais ici, au lieu de t’installer à Beijing comme prévu?».
C’était il y a presque 20 ans. De père anglais et de mère indienne, Warren Singh-Bartlett a vécu à l’étranger toute sa vie. «Les pays vous accueillent pour une certaine durée et puis commencent à vous lancer des signaux». Au cours de l’année à venir, il compte partir, après une série de malchances. «Comme beaucoup de Libanais, je n’arrive plus à survivre. Getting Lost in Lebanon fait partie de mon adieu». Un livre qui n’était pas supposé en être un. En préparant un autre ouvrage, sur lequel il planche toujours, il a effectué la randonnée balisée par l’association Lebanon Mountain Trail, qui part de Marjayoun jusqu’à Andqet dans le Akkar, où «chaque jour était une révélation», et durant laquelle les clichés pris étaient publiés sur Instagram. Les 156 photographies sont rassemblées ici, chacune accompagnée d’un texte où se mêlent humour à la british, anecdotes, histoires fabulées, informations, en fonction des intérêts spécifiques de l’auteur-photographe, de sa curiosité, de sa faculté à établir des connexions entre les histoires qu’il entend et les différentes places qu’il visite.
Le Liban, un blueprint du monde. Warren Singh-Bartlett emprunte un cheminement différent des «étrangers» qui écrivent sur le Liban, abordant généralement la politique et la guerre, et se concentrant sur les 40 dernières années. «Je vis dans un pays dont le nom, du moins, existe depuis des milliers d’années, traversé par tellement de gens, de cultures, d’empires différents. La diversité de son histoire, de son emplacement, explique la diversité du pays. Tout cela, c’est le Liban. Je crois que ce pays mérite d’être mieux compris». C’est ce que le livre tente de faire, en montrant une autre vision, qui n’est pas seulement associée aux événements tragiques. Certes, ajoute-t-il, il y a par exemple l’explication politique des Phéniciens, mais il y aussi toute cette culture qui était là, mais qui est écrasée par l’ombre de la récupération politique. «En tant que Libanais, vous pouvez être ce que vous voulez. Je comprends que ça puisse poser un problème pour le Liban, mais pour moi c’est libératoire de pouvoir être multiple».
Citant une amie espagnole qui a longtemps vécu dans le pays, il affirme que «le Liban est le blueprint du monde», «un parfait microcosme, tradition et modernité, islam et chrétienté, est et ouest, qui sont dans une perpétuelle lutte. Les problèmes qui en résultent sont ceux auxquels on fait face en Europe, en Amérique, au Moyen-Orient. Mais les belles choses qui en découlent sont celles qui permettent d’apprendre. Si vous arrivez à le faire ici, vous pourrez enseigner au monde entier. Parce qu’ici, vivre avec quelqu’un qui a une vision différente n’est pas un jeu intellectuel, c’est essentiel, c’est quotidien». Pour illustrer son propos, Warren Singh-Bartlett évoque un simple exemple puisé à Tripoli. Dans une église grecque-catholique, un balcon est réservé à la communauté musulmane de la ville pour qu’elle puisse assister à la cérémonie des fêtes de Pâques. Loin de minimiser l’aspect négatif de ces «limites floues» ou les moments de lutte qui jalonnent l’histoire du Liban, «nombreux certes, mais si on regarde sa longue histoire, ajoute-t-il, ils sont passagers. Les gens retrouvent leur rationalité, refusent d’être manipulés par les politiques et reviennent à ce qu’ils savent faire: vivre ensemble, sans trop y penser». Ce qui définit une personne, un pays, c’est l’histoire qu’il raconte.
Nayla Rached