Magazine Le Mensuel

Nº 3080 du vendredi 4 août 2017

Point final

Les réseaux sociaux et la peur de l’insignifiance

Narcissisme, exhibitionnisme, quête de reconnaissance…Le m’as-tu vu bat son plein sur la toile. Depuis l’avènement de ces vitrines numériques; de Facebook au réseau Instagram, notre mode de vie, notre manière d’être ont changé.
Ce nouveau mode de vie est caractérisé par l’affichage; faire savoir ce que l’on fait, où l’on se trouve, ce que l’on voit, ce que l’on vit… est devenu si capital que l’on arrête une cérémonie religieuse ou séculière pour publier une photo, signaler instantanément une situation via le «Live streaming», exhiber en direct un moment de notre intimité. Tout est bon pour susciter l’intérêt. Regardez-moi, je suis sur le fil d’actualité, autrement dit «j’existe» semblent crier nos statuts, nos commentaires et nos photos postés. Plus important que l’instant vécu semble être notre soif, notre besoin de montrer, de nous montrer.
C'est comme si une visite touristique, un concert ou un simple regroupement amical, qui ne sont pas validés sur les réseaux par des pouces levés, n’ont pas eu lieu. En cette ère de la visibilité, l’acclamation pictogramique est devenue un besoin psychique pressant. Notre ego se booste à gros coups de likes, nous entraînant dans un cercle vicieux; plus nous partageons, plus nous recevons d’ovation et plus ça nous incite à nous afficher et nous entraîne dans le jeu interminable du paraître. Les frontières entre le privé et le public sont brouillées, emportées par un flux continu de photos, de postes, par une mise en scène généralisée de notre quotidien.
Les selfies s’imposent, se généralisent, que l’on soit Premier ministre ou madame, monsieur tout le monde, à chacun son quart d’heure de célébrité. Les médias de masse, en particulier le cinéma et la télévision avaient généré un phénomène de starification subjuguant des milliards de spectateurs par un univers fantasmatique. La toile et ses réseaux numériques ont «démocratisé», massifié cette starification; mettre en avant «le moi» loin d’être haïssable est devenue la règle du jeu.
Avec les réseaux sociaux, tout un chacun peut faire sa propre promotion son propre marketing, se montrer cool, branché, calé. Mieux encore avec leurs panoplies de gadgets, les réseaux nous permettent de faire parler de nous, même quand on n’a rien à dire. Quoi de plus simple que de partager les mémoires que Facebook nous proposent chaque jour. Un simple clic et la vidéo qui célèbre notre célébrité se trouve en ligne. Il s’agit moins de partager que de montrer; l’homme de l’âge de la connectivité est un individu en quête de visibilité, de reconnaissance, plus que de relations.
Dans une société au présent lugubre et au futur obscur, le mal être général enchaîne les hommes; l’affirmation de soi est difficile, et le rapport à autrui d’autant plus compliqué, plus ambigu. La réalité cède la place à un imaginaire sensationnel. Aujourd’hui le virtuel prend le pas. Il n’y a pas de réalité sans égard au reflet de soi numérique.
Cette exhibition du moi semble répondre à une peur de l’insignifiance que l’on croit apaiser par toujours plus de succès, à entendre, numérique.
Dans ce jeu de miroir où le voyeurisme est synonyme de sociabilité, comment sortir de la logique de l’affichage et briser ce paradigme de l’éphémère? Où réside l’équilibre entre l’être et le paraître?


Mirna Abou Zeid
Docteur en Sciences de l’information et de la communication

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